Arbitrage | Actif depuis cinq ans sur les parquets, l’arbitre de Rances a officié samedi pour la première fois avec une collègue elle aussi malentendante.
© Philippe Maeder | Vincent Guyon a apprécié de prendre sous son aile son ancienne joueuse, Sophia Hucher, le temps d’un match. Sourde elle aussi, elle en était à son troisième arbitrage.
Patrick Wurlod | 07.11.2011 | 22:30
Chaque match arbitré lui permet de remporter une nouvelle victoire sur lui-même. Mais samedi, Vincent Guyon, sourd profond de naissance, était comblé au-delà de ses espérances. Celle avec qui il composait le duo arbitral était elle aussi malentendante, ce qui ne l’a pas laissé de marbre.
«J’ai hâte de donner ce coup d’envoi, sous l’œil du Valaisan Michel Cicoira, pionnier des arbitres sourds aujourd’hui à la retraite. Je me réjouis d’autant plus que Sophia Hucher était l’une de mes joueuses quand j’entraînais Epalinges et que notre handicap commun nous a rapprochés», confiait-il avant l’échéance.
La salle du Léman, à Renens, a ainsi été le cadre d’une première romande, voire nationale. Luttant pour accéder à la catégorie élite, les moins de 16 ans de Renens et Nyon n’ont été avertis de la composition du tandem arbitral qu’en arrivant sur le parquet. «Comme les coaches et les officiels de table, ils étaient surpris, mais ont vite pris la chose positivement, relève Vincent Guyon. Je les ai même sentis plus posés, plus concernés qu’à l’accoutumée.»
Une double mission
Vincent Guyon, 39 ans, s’est alors vu investi d’une responsabilité inhabituelle. «En duo avec mes collègues sans handicap, qui ont l’avantage d’entendre la sirène, tout ce qui se dit sur le terrain et réagissent plus promptement, ce sont eux qui gèrent la partie. Nous, sourds ou malentendants, avons souvent un temps de retard. Nous le compensons par une meilleure acuité visuelle, une capacité à observer certaines fautes et attitudes. Là, je devais assumer mes responsabilités, tout en assistant Sophia. A 19 ans, c’était son troisième arbitrage. Elle manquait de confiance mais elle s’en est très bien tirée.»
Le moins que l’on puisse dire, c’est que la balle orange n’a plus de secret pour le Nord-Vaudois, qui se dit «à l’écoute» des basketteurs à sa manière. Car avant de devenir arbitre, il fut joueur et entraîneur. «J’ai eu le déclic en voyant la Dream Team américaine aux JO de Barcelone en 1992. J’étais footballeur, souvent remplaçant en raison de ma surdité, et j’ai compris que mon 1,92 m pouvait me permettre de moins chauffer le banc.» Après des piges à Orbe et en 1re ligue à Yverdon, il effectuait même un test en LNB à La Chaux-de-Fonds. «Un rêve! Mais les sacrifices à consentir m’ont dissuadé de faire le pas.»
Entraîneur, Vincent Guyon a aussi gravi les échelons, de toutes les catégories de juniors à la 2e ligue féminine, en passant par un intérim en 1re ligue à Echallens. «Mais ma grande satisfaction fut d’aider les cadets challensois à gagner le titre cantonal. Une vraie récompense, après tant d’années d’effort», glisse-t-il.
Ce passionné est aussi guidé par une volonté permanente d’approfondir sa connaissance du milieu dans lequel il évolue – il évoque Lance Allred ou Mihan Zupan, joueurs sourds de haut niveau, et nous apprend que 25 malentendants arbitrent dans le monde –, tout en étant attiré par le basket de pointe. Qu’il ne désespère pas de tutoyer un jour.
Prendre confiance
«En 2004, j’ai appris l’existence d’un championnat d’Europe des sourds. Ça a été le déclic, car je pensais être seul dans mon cas. J’ai ensuite pu aider deux ans une équipe strasbourgeoise vice-championne de France des sourds. Autant d’étapes qui ont changé mon caractère, m’ont aidé à accepter le regard des autres et à prendre confiance», confie celui qui enseigne aussi la méthode du Langage Parlé Complété (LPC).
«Je pensais être comme les autres»
Alors missionnaires au Congo, les parents de Vincent Guyon n’ont décelé sa surdité que fort tard. «J’avais 2 ans quand ils ont compris que je ne répondais pas aux bruits et aux appels. Revenu en Suisse avec ma famille, un ORL du CHUV a diagnostiqué mon handicap. Lors des premières années d’école (ndlr: il a suivi une scolarité normale), à Chavornay, j’étais assis au premier rang et peinais à faire des phrases. Ma mère a dû inventer ses propres signes pour désigner les objets et me les apprendre. On m’a proposé un appareil auditif, mais il amplifiait tant les bruits que j’y ai renoncé à 10 ans. Je ne peux donc que lire sur les lèvres pour comprendre mon entourage.»
Même si les moqueries fusent quand il parle en public, ce à quoi il ne prête plus attention, la qualité de diction de Vincent Guyon peut surprendre. «L’apprentissage de la Langue Parlée Complétée et 20 ans de logopédie m’ont aidé à prononcer, à articuler et à maîtriser ma voix trop aiguë. Mais je n’ai accepté cet handicap qu’à 25 ans. Avant, je pensais être comme les autres. J’ai dû me mettre dans la tête que j’avais des limites.»
Habitué à jongler entre joies et frustrations, Vincent Guyon est devenu l’heureux père d’un petit Jonas, il y a trois ans, avec son épouse estonienne, elle aussi malentendante. «J’aimerais entendre sa voix et ses rires», soupire-t-il en gardant le sourire.
Source : http://www.24heures.ch/actu/sports/vincent-guyon-ecoute-basketteurs...
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