Les deux jeunes hommes, amis depuis leur enfance, sont motivés et allumés. Ils ont une multitude de projets ensemble, notamment le désir d’éventuellement faire des conférences pour partager leurs expériences et leurs connaissances de la réalité sourde. 

Mervann Lacroix-Bergeron et Evian Brière, enfants entendants de parents sourds, ont vécu une expérience semblable, très éprouvante : ils ont agi à titre d’interprète lors de l’hospitalisation d’un de leur parent sourd. Mervann Lacroix-Bergeron raconte ce qu’il a vécu lorsqu’il était âgé de 16 ans.

 

Un manque d’interprète ?

Il est arrivé d’urgence à l’hôpital vers minuit il y a quelques années avec sa famille puisque l’état de santé de sa mère se dégradait. Elle est hospitalisée et sera diagnostiquée un peu plus tard d'un cancer du rectum. Les deux parents du jeune homme sont atteints de surdité. C’est pourquoi il a fait un appel durant la nuit pour obtenir les services d’un interprète pour que chacun comprenne bien de quoi souffrait sa mère, mais aucun n’était disponible à ce moment précis.

Comme beaucoup d’autres familles, celle de Mervann Lacroix-Bergeron ne pouvait pas toujours prévoir à l’avance lorsqu’elle allait avoir besoin d’un interprète en situation d’urgence et l’appelait donc parfois à la dernière minute. À plusieurs reprises, le docteur n’était pas présent lors de l’arrivée de l’interprète puisqu’il était avec d’autres patients. «Avec le système de santé qu’on a, on ne sait pas quand le médecin va arriver. Après un certain moment d’attente, l’interprète repartait, indique l’étudiant en sciences humaines. Il n’allait pas attendre pendant deux heures que le médecin arrive. C’était donc impératif que je sois toujours présent à l’hôpital pour interpréter.»

Les interprètes en langues des signes se déplacent souvent dans les hôpitaux pour une très courte durée, simplement pour traduire un diagnostic avec le médecin et le patient. «C’est là le problème, soutient Mervann Lacroix-Bergeron. Ensuite, ils repartent pour un autre petit contrat. Ils ne vont pas rester toute la journée ni durant la nuit avec la famille à l’hôpital.»

 

Toujours devoir être présent

Durant trois mois, le jeune homme de 16 ans a passé un nombre incalculable d’heures au chevet de sa mère pour traduire en langue des signes, ce qui s’est avéré très épuisant pour lui. Il était présent à l’hôpital cinq jours sur sept, pendant 12 heures, ainsi que durant de nombreuses nuits. «À partir d’un certain moment, avec la fatigue, les sentiments et les émotions sont entrés en ligne de compte, mentionne-t-il, bouleversé. On ne devrait pas avoir à traduire aux médecins lorsque ça concerne ses proches C’est essentiel d’avoir un interprète en tout temps dans les hôpitaux.» L’interprète est formé pour gérer ce genre de situations et reste neutre, contrairement à l’entourage de la famille et c’est ce qui fait sa grande nécessité, selon lui.

Mervann Bergeron-Lacroix a été très chanceux puisqu’il était âgé de 16 ans lors de l’hospitalisation de sa mère et étudiait dans une bonne école, «ce qui est extrêmement rare pour un fils de Sourd.» Il connaissait donc beaucoup de mots pour traduire les diagnostics, ce qui s’est avéré un très bon atout pour lui et son entourage.

La communication se retrouve au centre des préoccupations pour la personne sourde et son entourage. À un certain moment, la mère de Mervann Lacroix-Bergeron ne réussissait plus à communiquer en langue des signes ni à écrire, puisqu’elle était extrêmement faible. Elle avait perdu près de 100 livres à cause de son cancer et d'un changement d'alimentation. Le seul moyen pour communiquer avec elle était de tenter de lire sur ses lèvres ou de déchiffrer le peu de mouvements qu’elle était capable de produire. 

Il y a des situations où la personne sourde a beaucoup de demandes, d’où l’importance de l’interprète pour répondre aux besoins du patient sourd. «Il fallait tout le temps que je sois là pour ma mère, raconte-t-il. Par exemple, elle était très naturelle, mangeait biologique, sans viande ni gluten. Elle était souvent contrariée parce qu’elle et les infirmiers n’arrivaient pas à communiquer à propos de ses préférences culinaires. La personne sourde peut être totalement déçue ou démoralisée et c’est pourquoi il faut être là pour elle.»

L’hospitalisation de sa mère a eu d’énormes répercussions sur sa vie. Pendant un an, il a complètement arrêté ses études pour consacrer la presque totalité de son temps à faire le lien entre le personnel infirmier et sa mère sourde. «L’hospitalisation de ma mère a duré trois mois et après elle est décédée, finit-il par articulé, atterré. Ça a été un choc, ajoute-t-il, ému, en évoquant cette période sombre de sa vie. Ça a eu un gros impact sur toute la famille. » Le jeune homme ne s’est pas inscrit à son autre session au Cégep puisqu’il ne savait pas si sa mère allait être encore à l’hôpital à ce moment-là.

La personne sourde a besoin de soutien psychologique au même titre qu’un entendant. Il est donc nécessaire qu’elle ait quelqu’un avec qui parler en langue des signes lors de son hospitalisation. Les entendants obtiennent un support moral de la part des infirmières, des médecins et des voisins de chambre avec qui ils peuvent parler. «Mais le Sourd, il est seul et se retrouve isolé. Tu n’as  pas envie de rester à l’hôpital bien longtemps dans ce cas-ci, se désole-t-il. » Mervann Lacroix-Bergeron fait un lien entre la santé mentale et la santé physique des patients. C’est prouvé qu’il y a un rapport entre les deux, selon lui.

Il pointe également les difficultés de communication encore plus grandes lorsqu’il s’agit d’une personne sourde et aveugle, une problématique à laquelle les gens ne réfléchissent que très peu. Le père du jeune homme est atteint du Syndrome d’Husher, une maladie qui fait perdre une partie de la vue ou totalement et qui atteint beaucoup de Sourds. «Là, c’est vital d’avoir un interprète en tout temps dans les hôpitaux, déclare-t-il. Avec un Sourd, à la limite tu peux essayer de communiquer par l’écrit. Mais avec un sourd qui est aveugle, il n’y a personne qui va faire des petits points pour faire comme si c’était du braille. »

 

Conscientisation de la réalité sourde

Mervann Lacroix-Bergeron réitère que l’Important est de conscientiser les gens à la réalité que vivent les Sourds. Il explique qu’il faut absolument qu’il y ait des adaptations qui soient faites pour les Sourds, et pas seulement pour les aveugles ou pour les personnes en fauteuil roulant, par exemple.

Mervann Lacroix-Bergeron a assisté récemment à une conférence traitant de la culture du silence qui lui a fait réaliser bien des choses. «La personne qui en a été victime, elle ne va pas le dire. Les Sourds, eux, à mesure qu’ils ont grandi, ils ont été mis de côté. Quand ils voulaient dire quelque chose, on leur disait ‘’non non non, ce n’est pas grave.’’ Ils étaient mis de côté !, lance-t-il, fâché par cette situation. À la fin, quand ils avaient quelque chose d’important à dire, ils laissaient faire. Il faut exprimer ce problème-là, pour que même les Sourds en soient conscients, parce qu’elle est inconsciente cette culture du silence. Il faut que les entendants aillent vers les Sourds.»

Un texte d'Alexandra Lord, CCA

Lire aussi:

-Un Sourd à l'hôpital (partie 1)

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