Un restaurant à Gaza où les serveurs n'entendent pas

À Gaza, le restaurant où les serveurs ne vous entendent pas

Au restaurant Atfalouna, 12 employés sur 14 sont sourds. Une initiative pour donner du travail à ces handicapés dans un territoire miné par le chômage.Le restaurant Atfalouna à Gaza aide les sourds à s’insérer dans un marché du travail sinistré. 


À première vue, le restaurant Atfalouna, dans la ville de Gaza, n’a rien d’exceptionnel. À une particularité près : la quasi-totalité de ses employés sont sourds.Les clients bavardent, consultent la carte, mais lorsque le moment de passer commande arrive, ils indiquent le plat sur le menu aux serveurs, qui le relayent aux cuisiniers en langage des signes. Cette expérience, unique en son genre à Gaza, est à l’initiative d’une association locale, Atfalouna (“Nos enfants”, en arabe), qui oeuvre pour améliorer la condition des malentendants. Le projet vise à faire prendre conscience des besoins et des capacités des sourds tout en leur donnant les moyens de gagner leur vie à Gaza, où le chômage avoisine les 45 % de la population active.


Ahmad Dahmane, qui s’exprime timidement en langage des signes via un traducteur, explique combien ce travail a changé sa vie : “Cela m’a donné un sentiment de sécurité face à l’avenir, d’indépendance, car les possibilités de travail sont quasiment inexistantes. Nous avons reçu le soutien et la coopération de beaucoup de gens”, explique-t-il à l’AFP près d’un mur du restaurant décoré de l’alphabet du langage des signes.


Manque de travail
Jusqu’à récemment, les possibilités d’éducation pour les sourds dans la bande de Gaza s’arrêtaient au collège. Mais un nouveau lycée s’est ouvert et Atfalouna coopère avec les universités pour que des cours adaptés aux sourds soient proposés. Mais cela ne résout pas le problème de l’emploi. “Il y a vraiment un manque de travail pour les sourds qui sont aussi désavantagés en raison de leur handicap pour ce qui est l’éducation”, déplore une responsable de l’association, Dalia Abou Amr.


Les clients pénètrent dans le restaurant par une entrée de style oriental au-dessus de laquelle est accrochée l’enseigne avec le nom du restaurant en anglais, en arabe et en langage des signes. À l’intérieur, une hôtesse en costume traditionnel palestinien guide les clients vers leur table. Des créations d’artisanat produit par des membres d’Atfalouna sont également en vente.


“Nous sommes venus voir l’endroit. C’est agréable et, en plus, nous apportons un soutien moral, nous reviendrons”, promet Chahd al-Iyla, un étudiant de 21 ans, venu dîner avec un ami. Selon Dalia Abou Amr, 12 des 14 employés sont sourds. Seuls le chef et le comptable, qui prend les réservations par téléphone, font exception. “L’équipe des 12 salariés sourds a suivi une formation professionnelle aussi bien sur le plan culinaire que sur l’accueil des clients”, indique-t-elle.


Une autre dimension
Environ 1,5 % des habitants de Gaza de plus de 5 ans souffrent de problèmes auditifs, selon Atfalouna, un handicap toujours stigmatisant. “Personne n’accepte l’idée qu’une personne sourde travaille à Gaza”, affirme Nevine al-Qouqa, 35 ans, alors qu’elle décore une assiette avant sa sortie de la cuisine. Avant l’ouverture du restaurant, elle a suivi des cours de décoration et de couture pour trouver un emploi, mais en vain. Désormais, elle fait partie des cinq femmes employées, dont quatre en cuisine et une comme serveuse. “J’espère améliorer mes talents culinaires afin que mes collègues et moi-même puissions faire nos preuves malgré notre handicap”, ajoute-t-elle en souriant.


Le chef du restaurant, Hassan al-Dabous, 30 ans, leur enseigne les ficelles du métier en langage des signes. “Je suis aux fourneaux depuis 10 ans, j’ai toujours aimé ce travail, mais aujourd’hui, cela a pris une autre dimension, dit-il. Cela a une signification morale et humaine pour des gens qui méritent tout notre soutien.” Amina al-Omari, 22 ans, qui travaille dur en cuisine, assure que son travail lui a donné une autre image d’elle-même.


“La société n’a aucune idée de nos besoins. Je me sentais victime d’une injustice, d’une oppression, mais tout s’est estompé lorsque j’ai commencé à travailler ici et à devenir indépendante”, affirme-t-elle.

Source : http://www.lepoint.fr © 11 Janvier 2013 à Gaza

 

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