Un devenu sourd ou un sourd à l'âge d'adulte.

Les devenus sourds

Le documentaire est principalement composé d’ouvrages sur la population sourde ainsi que de sociologie générale. L’analyse de ces différentes oeuvres s’est révélé être riche d’enseignements concernant la population sourde, mais elle s’est également avérée compliquée du fait de la rareté des ouvrages consacrés aux devenus sourds.

Le terme devenu sourd signifie bien que la personne a entendu avant de perdre son audition. Cette personne a donc été immergée un moment parmi les entendants. Elle a eu le temps d’assimiler les valeurs, les pratiques sociales de ce milieu mais également de tisser des relations avec les membres de celui-ci. Cela signifie notamment qu’elle a passé une longue période de sa vie avec ses deux oreilles saines. La découverte de ce handicap « tardif » fait alors basculer tout un avenir. En effet, le handicap « tardif » est un présent dont la réalité est étrangère et qui est perçue difficilement. Le devenu sourd vit alors une sorte de castration symbolique, un deuil à traverser, celui de son audition. Il ressent ainsi une certaine frustration du fait qu’il a désormais quelque chose en moins que les autres, ce qui est différent que s’il l’avait connu dès la naissance. Le devenu sourd a vécu avec son audition pendant une période relativement longue, du moins assez pour qu’il sache ce qu’il a perdu. En effet, certains sourds congénitaux sont fiers de leur surdité, ils vont même jusqu’à la revendiquer : cette surdité fait partie intégrante de leur personnalité. Les devenus sourds n’ont pas et ne peuvent avoir le même ressenti que ces derniers du fait qu’ils ont vécu avec la possibilité d’entendre tout ce qui les environne. C’est pourquoi, en perdant l’ouïe, ils ont conscience de ce qu’ils ont perdu. En plus de faire le deuil de son audition, le devenu sourd doit accepter sa nouvelle situation et son nouveau statut. Cela signifie en quelque sorte qu’il doit réajuster son identité, ses manières de vivre, de faire et de se comporter face à autrui. Il doit également supporter le regard que les gens vont désormais porter sur lui. La langue des signes, qui nécessite un long et difficile apprentissage, n’est pas à la portée de tous.

« Ce sujet est-il tabou dans toutes les familles ? Nier sa surdité est-elle coutumière ? S’isoler est-il le rituel des devenus sourds ? Des questions par milliers me passaient par la tête. J’ai éprouvé ce besoin de connaître et de rencontrer d’autres personnes vivant cette situation. Etre entendant, passer du jour au lendemain dans le monde du silence est une étape, voire une véritable épreuve dans l’existence d’une personne. Ces individus se voient plonger dans le monde de la surdité avec leurs références d’entendants. Comment faire face à ce dramatique changement ? »

« Malgré son aspect très intéressant, la société ne se préoccupe pas vraiment de leur situation. Nous entendons par là, le fait que, lorsque nous entendons les médias parler au sujet de la surdité, il est rarement question des devenus sourds. Dans l’esprit des gens, surdité rime bien souvent avec langue des signes, sourd natif ou personnes âgées. Mais que fait-on des devenus sourds? Quelle est leur place? De plus, la perte de l’audition à un âge « tardif » entraîne de nombreux et bien souvent douloureux bouleversements. L’individu atteint par cette subite surdité doit réapprendre à organiser sa vie quotidienne, et ce, dans tous les domaines. En effet, ne plus entendre c’est être perpétuellement à la recherche d’informations que l’oreille ne donne plus. Un sens remplace souvent un autre, c’est pourquoi les devenus sourds doivent désormais apprendre à entendre avec leurs yeux. La vue va alors les renseigner sur ce qui les environne : elle remplace désormais le « radar » auditif. »

« Mais les personnes qui deviennent sourdes à un moment précis de leur existence vivent une situation différente de celle des sourds congénitaux. En effet, ces personnes ayant perdu l’audition tardivement, ont passé la majeure partie de leur vie dans le monde entendant. Ils ont eux, assimilé les normes et les valeurs véhiculées par la société dominante entendante. Ils ont acquis un mode de communication qu’est la parole. En perdant l’ouïe, ils se détachent de ce qui les reliait au monde entendant.»

 

 « Cette perte d’audition va engendrer de nombreux changements ainsi que de nouvelles adaptations, dans la vie familiale comme dans les rapports amicaux, ainsi que lors de toutes les interactions quotidiennes avec autrui. Mais le devenu sourd va également devoir changer certaines de ses habitudes, de ses activités, et il se trouve parfois même dans l’obligation d’en abandonner quelques-unes. Cette soudaine surdité devient alors un véritable handicap dans la vie de tous les jours, d’autant plus que celui-ci est un handicap invisible aux yeux des autres. L’interlocuteur du devenu sourd ne peut deviner que la personne à qui il s’adresse n’entend pas. »

 

« Même si le devenu sourd accepte sa soudaine déficience et s’accepte en tant que tel, le regard des autres aura forcément une influence sur sa façon de se percevoir. Il est difficile de faire abstraction des préjugés que l’on porte à notre égard. Pendant des années, le devenu sourd a côtoyé les mêmes personnes. Certaines d’entre elles vont considérer sa surdité comme un attribut le rendant désormais différent d’elles. Elles vont le distinguer comme une personne handicapée, comme quelqu’un ayant désormais une chose en moins. Le devenu sourd peut être diminué à leurs yeux et peut cesser d’être pour eux, une personne ordinaire et accomplie. Il sera alors difficile pour le devenu sourd d’accepter sa déficience et notamment d’admettre sa nouvelle situation. En effet, la personne stigmatisée, ici le devenu sourd, présente un attribut le disqualifiant lors de ses interactions avec autrui. »

« De ce fait ils sont considérés comme étrangers. De plus, les sourds conservent en eux l’expérience historique qui se répète dans chaque vie individuelle. Pendant une longue période, les sourds ont été considérés comme « arriérés », au point d’être très souvent internés en hôpital psychiatrique. Mais pour eux, surdité rime avec surdimutité, c'est-à-dire être à la fois sourd et muet. Un sourd sera forcément muet. Or, cela n’est pas le cas ! Il n’y a qu’une infime minorité de personnes atteintes de surdimutité. »

 

« Aux yeux des entendants, la surdité est perçue comme un handicap. La personne handicapée a un statut particulier dans l’espace social : il existe à son égard des préjugés et une certaine dépréciation de son statut social. L’image renvoyée est négative en raison de la référence à une norme. »

 

« Perdre l’audition à un moment précis de son existence change toute une vie. Elle chamboule le quotidien de la personne touchée mais également son entourage, ses amis, etc. Rien ne sera plus jamais comme avant. La surdité arrive sans prévenir : la personne touchée se retrouve précipité dans un monde dont elle n’a aucune connaissance ni aucun repères. Le devenu sourd ne sait plus comment se définir, il sait plus ni à qui, ni à quoi il doit s’identifier. Le devenu sourd se retrouve dans l’obligation de réorganiser sa vie, et ce, dans tous les domaines. »

 

« Perdre l’audition à un moment donné de sa vie est une épreuve difficile, longue et douloureuse. La personne qui devient sourde à un âge avancé, c'est-à-dire vers 30-40 ans, a passé une majeure partie de son existence avec l’usage de ses oreilles. Elle a ainsi assimilé les valeurs de la société dominante entendante, appris à appréhender le monde grâce au sens de l’audition. Elle s’est, à un moment ou à un autre, projetée vers l’avenir, a fait des projets, imaginé sa vie future. Désormais, le devenu sourd se rend compte que ses plans, ses projets futurs se trouvent plus ou moins remis en cause. Il se sent dorénavant handicapé : il a perdu ce qui le reliait au monde des entendants, son audition. Il se projette dans la peau de ces sourds qu’il pouvait parfois regarder comme des êtres « anormaux », des personnes malheureuses car privées de ce merveilleux sens qu’est l’ouïe. Toutefois, comparé à ces sourds de naissance, lui a vécu avec ce sens, il en connaît l’utilité et ce qu’il peut procurer d’agréable. Il voit sa vie basculer du jour au lendemain. »

« Perdre sa capacité d’entendre est une chose, être perçu comme une personne handicapée en est une autre. Le devenu sourd, avant de perdre son audition, a comme tout entendant, comme toute personne valide, porté à un moment ou un autre ses yeux sur une personne présentant un stigmate. A ce moment précis, ses préjugés l’ont guidés jusqu’à avoir certainement un regard condescendant sur la personne atteinte du stigmate en question. Le devenu sourd sait alors quel genre de regard et de jugements peuvent porter les valides sur les personnes handicapées. Bien qu’il ne se considère pas comme handicapé, il n’en reste pas moins ainsi aux yeux des autres. Mais ici qui sont les autres ? Il y a d’un côté les entendants et de l’autre les Sourds. Ce n’est pas parce qu’une personne devient sourde qu’elle peut faire partie de la communauté sourde. »

 

« Le devenu sourd connaît un passage douloureux à l’annonce de sa surdité. Au début, il se sent perdu, étranger à lui-même. Les autres lui renvoient également cette image d’étranger. Généralement, les personnes devenant sourdes ne veulent pas accepter leur situation. Elles continuent leur vie comme avant, sans apporter vraiment les changements nécessaires et ce, même si leur perte d’audition demande un autre rythme vie. Elles croient généralement qu’en maintenant leur rythme de vie qu’elles avaient avant leur perte d’audition, elles pourront montrer à tous que rien n’a changé, qu’elles sont toujours capables de faire les mêmes choses. Or, elles se mentent à eux-mêmes. Elles pensent pouvoir s’en sortir seules, ne pas avoir besoin de l’aide d’autrui et ce, pour se persuader qu’elles restent les mêmes. Nous pourrions ici reprendre le concept de l’inexternalité, proposé par Bertrand Bergier. Il définit l’inexternalité comme le fait de « s’estimer maître à bord de sa vie, tout en reconnaissant combien la pesanteur économique, sociale, culturelle réduit l’amplitude des stratégies individuelles […] L’inexternalité conduit à une concentration sur soi, tout en réalisant qu’il n’est pas possible de s’en sortir seul ». Il est illusoire de vouloir et de penser pouvoir s’en sortir seul. Il est important que le devenu sourd soit accompagné humainement. Avoir quelqu’un à ses côtés permet de voir que l’on n’est pas seul. Avoir un soutien est primordial dans ce type de situation car il ne s’agit pas d’une situation « banale » telle qu’avoir une jambe dans le plâtre. Nous n’avons pas besoin de quelqu’un seulement pour nous aider à monter les marches, juste le temps de l’immobilisation. Non, ne plus entendre c’est avoir besoin du soutien, autant physique que moral, de l’entourage, des proches, des amis, des collègues etc»  

 

« Le devenu sourd rencontre beaucoup de difficultés pour accepter sa nouvelle situation. Mis à part une absence d’audition, le devenu sourd essaie de rester la même personne mais il vit désormais dans un environnement qu’il ne comprend plus : le monde des entendants lui est devenu difficilement accessible. »

« Les devenus sourds vivent généralement leur subite surdité comme un drame. Ils voient leurs projets futurs s’effondrer, leur identité bouleversée et leur place au sein de la société remise en question. Leur vie prend un nouveau tournant. Comme nous l’avons vu, ayant passé une majeure partie de leur vie plongée au coeur du monde entendant, ils connaissent le regard et les a priori que les gens portent sur les personnes ayant des troubles de l’audition. Ils ont alors du mal à accepter ce soudain handicap et connaisse l’angoisse du regard de l’autre. Les devenus sourds sont bien souvent gênés par le fait que leur handicap ne soit pas visible. On pourrait penser que la manière la plus courante et la plus « normale » serait de prévenir les gens de leur surdité, de les avertir afin que les échanges se passent au mieux. Or, ce n’est généralement pas le cas. L’invisibilité de la surdité leur permet, dans certaine condition, de ne pas paraître comme porteur d’une déficience. Ils n’ont alors pas à subir le regard des autres et les éventuels préjugés. »

 

« Plus la surdité est tardive, plus son acceptation et sa révélation sont délicates à faire. Ne pas le dire entraîne bien souvent les devenus sourds sur le terrain des malentendus. Pour ne pas montrer à autrui qu’il n’entend pas, il improvisera les réponses, le mettant parfois dans des situations incommodes. « Vous voulez acheter une télévision ? Non, je veux juste acheter une télévision ». Ce genre de situation est typique pour les devenus sourds. A ne pas avouer sa surdité et à se persuader qu’il a compris le message, le devenu sourd répond à côté de la question ou parfois même n’y répond pas ! Lorsque l’interaction se déroule de cette sorte, l’interlocuteur fait généralement preuve de peu de patience. Quelqu’un qui ne répond pas à la question posée ou qui ne dit mot est régulièrement pris pour une personne, non pas avec une déficience auditive, mais une déficience mentale. Les devenus sourds sont bien souvent perçus comme des individus frêles par les entendants. En effet, les personnes qui n’entendent pas bien font répéter l’interlocuteur une fois, deux fois, et puis ce dernier les prend généralement pour des idiots. Certes, il ne peut être au courant que la personne est sourde si cette dernière ne le lui a pas dit. Il trouvera ainsi son comportement « anormal », comme ne faisant pas partie des manières de faire véhiculées par la société dominante. C’est la même chose si le locuteur aperçoit pendant la conversation les prothèses auditives du devenu sourd. Comme nous l’avons souligné précédemment, les entendants pensent qu’avec les appareils auditifs, l’audition de la personne qui les porte est corrigée et donc qu’il entend correctement. Or, rappelons-le, les prothèses auditives amplifient les sons mais ne permettent en aucun cas d’entendre parfaitement. »

« Plus la surdité arrive tardivement et plus il sera difficile pour la personne atteinte d’acquérir les compétences et les habiletés en langue des signes. Il en sera certainement de même concernant la pleine intégration à la culture. Un sourd congénital ou l’étant devenu avant de parler aura probablement plus de chances et de facilités pour se socialiser à la culture sourde qu’un devenu sourd plus tardif. Généralement, les Sourds n’acceptent pas que des entendants apprennent la langue des signes. Avant, chacun parlait une langue que les autres ne comprenaient pas. Donc, exclus de tout, les sourds avaient au moins un domaine où ils excellaient. Il y avait une sorte de symétrie. A partir du moment où les entendants découvrent la langue gestuelle, il y a comme une rupture de cette symétrie, entraînant une nouvelle inégalité entre sourds et entendants. Les personnes devenues sourdes, qu’elles apprennent la langue des signes ou non, ne sont généralement pas considérées comme Sourdes. Ce rejet de la communauté sourde va au-delà de l’utilisation ou non de la langue gestuelle. Les devenus sourds côtoient les entendants, partagent le plus souvent leurs valeurs, et continuent malgré tout à partager leurs modes de vie, etc. De ce fait, aux yeux des Sourds, ces personnes n’ont aucune affinité avec la culture sourde et n’appartiennent donc pas à la communauté sourde. En conséquence, les devenus sourds ne sont pas Sourds. Les devenus sourds, appartenant à la société entendante, rencontrent les effets de nomination et de catégorisation. Ils sont mis à distance de ce groupe, de ce répertoire social. Marguerite Blais, « La culture sourde : Quêtes identitaires au coeur de la communication »

 

« Le soutien familial est essentiel à la personne atteinte subitement de surdité. Mais l’apparition soudaine de la surdité ne va pas forcément de pair avec la solidarité familiale. Il n’est pas impossible de voir une famille se déchirer, se séparer, car l’une des deux parties n’accepte pas ce handicap. Généralement, tout un chacun pense que la famille est le lieu où l’on peut se sentir à l’aise, où l’on sera le mieux compris, le mieux entouré. Or, il n’en est pas toujours ainsi. En effet, c’est souvent dans ce qui est le plus proche de soi que les sourds font l’expérience la plus terrible de l’altérité. Dans un premier temps, c’est la vie de famille qui se voit chamboulée. Le devenu sourd est perdu. Il n’a plus de repères. Il a du mal à accepter sa surdité et c’est pourquoi les débuts sont difficiles. Il doit également supporter le regard que les gens vont désormais porter sur lui. »

« L’acceptation de la surdité est un chemin long et douloureux : le deuil de l’audition est difficile. Plus la surdité est tardive, plus son acceptation et sa révélation sont délicates à faire. Plus la surdité arrive tardivement et plus il sera difficile pour la personne atteinte d’acquérir les compétences et les habiletés en langue des signes. Il en sera certainement de même concernant la pleine intégration à la culture. Un sourd congénital ou l’étant devenu avant de parler aura probablement plus de chances et de facilités pour se socialise Pour l’entendant, la déficience auditive est avant tout une histoire d’oreille. Il existe pourtant différents types de surdités : les sourds congénitaux, les sourds profonds, les devenus sourds, etc. Toutes ces personnes n’ont ni la même histoire, ni le même mode de vie, ni les mêmes pratiques sociales. Cependant, les entendants les catégorisent tous sous une même étiquette r à la culture sourde qu’un devenu sourd plus tardif. Avec l’arrivée brutale de leur déficience auditive, les problèmes de communication apparaissent, l’atmosphère familiale s’aigrit, les amis s’éloignent, les contacts se raréfient et la vie culturelle et sociale s’appauvrit. »

« Il arrive donc bien souvent que les devenus sourds ne puissent trouver assistance auprès de leur famille. Par ailleurs, les entendants assimilent usuellement le fait que la surdité altère l’intelligence. L’entourage peut ainsi ne pas comprendre et ne pas accepter la situation de leur proche devenu sourd. Avec l’arrivée subite de la surdité, c’est toute la vie familiale qui se voit perturbée, tout leur univers bascule. Rien ne sera plus jamais comme avant. C’est ici une des clés pour mieux vivre la déficience auditive : accepter le fait que leur vie, leur quotidien va être bouleversé pour une durée indéfinie. »

« Nous observons alors une véritable dichotomie entre « eux » et « nous », entre les sourd au sein d’une famille entendante se voit bien souvent privés de conversation et de complicité. Sans langage commun avec sa famille, il est alors compliqué de lui expliquer ce qu’il se passe ou ce qu’a dit un tel, etc. Il y a souvent un sentiment d'isolement et parfois de rejet au sein même de la famille. Mais il arrive que des frères ou des sœurs doivent interpréter entre le sourd et ses parents. Le dialogue se fera rare, les amis inviteront moins le devenu sourd, la famille, ne supportant plus cette situation, s’éloignera de lui, évitera d’engager une longue conversation avec lui, lui demandera de moins en moins son avis. Sa famille, ses proches le mettront, de manière implicite, en marge de leur clan. Toutes les familles vivent le drame du handicap qui touche l’un des leurs. »

« Il y a souvent un sentiment d'isolement et parfois de rejet au sein même de la famille. Ils sont offensés que des décisions les concernant soient prises sans leur avis. Les relations entre avec entendants sont principalement marquées par deux éléments : les difficultés de communication et l'acceptation de la surdité. Parfois ils se sentent psychologiquement "inférieurs". Cette idéologie se retrouve dans toutes les sphères de la vie : famille, ami, connaissance, entourage, contact, travail, école, etc. »

« La relation de couple doit également faire face à l’épreuve. Il y a désormais des choses qu’ils ne pourront plus jamais faire. La communication au sein du couple se voit réduite et avec, parfois, une perte de complicité. Cela peut briser certains liens qui auparavant les unissaient. La relation avec les enfants est elle aussi fragilisée par cette dégradation de la communication. Le devenu sourd ne pourra plus entendre ses enfants rentrer joyeusement de l’école, il perdra également une certaine complicité avec eux et ce, d’autant plus si sa surdité est un sujet tabou. En effet, il n’est pas rare de croiser des familles où la surdité d’un des leurs reste taboue. Si cela est le cas, le devenu sourd pourra ne pas oser faire répéter ses enfants par exemple. Il n’aura donc pas compris de quoi lui parlait son enfant. De ce fait, le devenu sourd perdra une grande partie des conversations avec son fils ou sa fille, celui-ci pouvant alors supposer que ce qu’il raconte n’intéresse pas son père ou sa mère. C’est pourquoi le devenu sourd peut perdre de cette complicité qui le liait à ses enfants. Vous savez, dans des couples, il y beaucoup de couples qui se sont défaits. Que ça soit la femme ou l’homme qui n’entendent pas. Ça n’est pas évident pour l’autre aussi. »

«Il ne pourra plus entendre ses enfants tout joyeux au retour de l’école, il ne pourra plus écouter la musique comme avant ; quant au cinéma et au théâtre, ils lui deviennent quasi inaccessibles. Il lui faut désormais accepter ce handicap, reprendre confiance en lui et en ses capacités. Son identité en devient floue, il ne sait plus où se situer ni comment réhabiliter sa vie. Ce n’est pas là chose facile, d’autant qu’il lui faut apprendre à supporter et à vivre avec le regard d’autrui. Même si la surdité reste invisible aux yeux des autres, elle n’en reste pas moins un stigmate dont la personne atteinte, reste à jamais marquée. « 

« C’est généralement une étape beaucoup plus difficile lorsque la surdité touche un homme adulte, d’autant plus s’il est père de famille. En effet, celui-ci, tenant du rôle « patriarcal », peut sentir qu’il perd une partie de son autorité, mais également qu’il peut perdre le respect des siens du fait qu’il est désormais moins apte à protéger et à venir en aide à sa famille. Les hommes ont cette fierté masculine qui fait que l’acceptation de la surdité est plus difficile que pour les femmes. Cela ne veut pas pour autant dire que tout se passe pour le mieux pour elles, mais elles ont généralement la force de mieux l’accepter et ainsi, de mieux s’adapter. Le soutien familial est essentiel à la personne atteinte subitement de surdité. Même au sein de leur famille, les sourds font la dure expérience de l’altérité. Par leur surdité, ils sont mis à l’écart des leurs. Les contacts avec la famille élargie sont généralement lointains et superficiels. »

« Il n’est pas facile de s’adapter à la condition de devenu sourd. Les personnes qui le vivent peuvent, à certains moments, se montrer plutôt agressives et éprouver de la frustration face à ses nouvelles difficultés. Elles craignent souvent de ne pas comprendre et sont très sensibles aux réactions d’impatience des gens lorsqu’elles leur demandent de répéter. »

 

« Les entendants définissent les sourds par rapport à un déficit d’audition. Donc toutes les personnes connaissant un problème d’audition seront catégorisées comme sourdes. Ce modèle de configuration définit et isole le devenu sourd. Même si l’individu en question perd l’ouïe à 40 ans, il sera tout de même considéré comme une personne sourde et non plus comme une personne entendante. Et ce, malgré le fait qu’il partage la culture et les valeurs véhiculées par la société dominante entendante. En général, dans un groupe sourds-entendants, ce sont les sourds qui font le plus d’efforts pour communiquer. Les entendants ne font pas toujours attention à eux : ils parlent entre eux, ignorent les sourds, …. Pour un sourd moraliste, ce n'est pas toujours évident malgré sa parole orale qui fait croire que c'est un malentendant, soit un devenu-sourd que pourrait croire un entendant. C'est le même cas pour un malentendant. Sourd ou malentendant, quelle est la différence? Bien souvent, ces derniers n’ont guère de patience mais surtout, ils n’acceptent pas. Ils n’acceptent pas le fait qu’il est difficile pour eux de suivre une conversation sans en perdre un bout, à un moment ou un autre. Si bien que la personne entendante arrive jusqu’à en mépriser le devenu sourd. La plupart du temps, lorsque celui en face ne comprend pas, les gens le classent assez vite en situation d’infériorité, le prenant pour quelqu’un de « simple ». Or, il est bien connu que la surdité n’altère en rien l’intelligence ! Mais les entendants ont tendance à se croire supérieurs à tout ce qui n’entre pas dans le cadre de la norme. C’est en partie la raison pour laquelle le devenu sourd est régulièrement source de plaisanteries de la part des entendants. »

 

« On considère fréquemment les sourds comme incapables de s’intégrer dans la société et d’exercer un métier intellectuel. Désormais, beaucoup de contacts passent par le téléphone, les sourds sont en quelque sorte, réduits à l’impuissance. De nombreux métiers leur sont même refusés, dû à l’usage fréquent du téléphone, et ce, quel que soit le secteur. »

« Les interactions se passent ainsi souvent mieux pour les sourds natifs que pour les devenus sourds. Ces derniers ont du mal à accepter qu’ils n’entendent plus et que plus rien ne sera plus pareil. Les gens vont distinguer comme une personne handicapée, comme quelqu’un ayant désormais une chose en moins. Le devenu sourd rencontre beaucoup de difficultés pour accepter sa nouvelle situation. Les entendants pensent que les sourds sont handicapés car ils ont un manque, l’ouïe. Mais lorsqu’ils sont entre pairs, leur déficience n’existe pas : la surdité n’est plus une déficience mais un état de nature. Les entendants les jugent donc par rapport à une norme qui n’est pas la leur ! »

« Les relations avec entendants sont souvent tendues. Fondamentalement, c'est la vision de la surdité en tant que handicap qui heurte le plus. Il y a confrontation entre la vision de la surdité comme pathologie et la surdité comme identité et fondement de l'expérience commune dans une communauté. Ils le voient parfois comme quelqu’un de paresseux ne voulant faire aucun effort pour comprendre et suivre une conversation.»

 

« Le devenu sourd s’isole également de son plein gré, car il est de plus en plus difficile pour lui de suivre les conversations, mais il est également mis à l’écart par autrui. Les gens qui parlent à un devenu sourd ne peuvent savoir au premier coup d’oeil qu’il n’entend pas. Suite logique, si le devenu sourd n’a pas entendu la requête d’autrui, il est normal qu’il ne puisse lui répondre ! Or, pour les entendants, c’est bien souvent un manque de respect ou de la mauvaise volonté. Il est bien rare qu’ils se demandent « est-ce que cette personne serait sourde ? ». S’ils pensent ainsi, c’est généralement pour en rire, pour se moquer. Les sourds restent encore des « bêtes curieuses » aux yeux de la population entendante. « 

 

« Outre les relations familiales et amicales, les activités sociales et culturelles deviennent elles aussi difficiles d’accès. S’adapter à son silence n’est pas chose facile. La surdité entraîne un certain vide affectif. Le devenu sourd s’isole, et ce, notamment du au fait qu’il se voit dans l’obligation d’abandonner certaines de ses habitudes, de ses activités. Nous pourrions ici parler de déprise. Ces gens vivent beaucoup de situations d’incompréhensions et des préjugés qui amènent de la discrimination et parfois de l’injustice. »

« Tous ces détails font du devenu sourd un être qui se détache des relations sociales, le plongeant ainsi dans un monde silencieux. Ce détachement, cette solitude s’étend également aux amis. Dans tous mes entretiens, les personnes interrogées m’ont fait part du soutien et de la compréhension de leurs amis. Les amis font généralement plus d’efforts pour faciliter la conversation avec le devenu sourd. Ils sont plus enclins à répéter, à parler en face, etc. Peut-être est-ce du fait qu’ils ne vivent pas cette situation au quotidien ? Cependant, même si les amis ont un rôle important, qu’ils sont cléments face à la situation de leur ami devenu sourd, il n’en reste pas moins que les relations amicales peuvent se détériorer. La surdité subite devient alors facteur d’isolement et de marginalisation. La famille et les amis s’éloignent, les contacts se raréfient et la vie culturelle et sociale s’appauvrit. »

 

« Les devenus sourds vivent un véritable brouillage identitaire. Même s’ils partagent les normes, les valeurs, le langage, etc., les devenus sourds, par leur perte de l’audition, ne sont plus considérés comme faisant partie du monde entendant. A leurs yeux, les devenus sourds sont désormais sourds. Alors, ils devront désormais appartenir au milieu sourd. Seulement, réside ici un problème : les Sourds ne reconnaissent pas les devenus sourds comme faisant partie des leurs. Ils n’appartiennent pas à la culture sourde. Ils sont donc à la frange de tous cercles : les sourds les considèrent comme entendants, les entendants les rangent dans la catégorie des sourds ! Les devenus sourds sont donc en position de liminalité, ni sourd, ni entendant, ni totalement inclus, ni totalement exclus : ils vivent entre deux mondes. De plus, leur soudaine surdité les bascule dans un monde dont ils n’ont aucune notion. Ils doivent désormais vivre au travers de leurs yeux, le regard devenant leur principale source d’informations. S’adapter à la société entendante lorsque l’on devient sourd n’est pas évident. »

« L’audition est primordiale dans le monde d’aujourd’hui et ce, dans tous les domaines. Par exemple, les moyens de communication sont pensés, créés pour les entendants. Le devenu sourd, avant son subit handicap, a eu le temps de s’habituer à tous ces « objets. Face aux changements permanents et réguliers de la société, le handicap auditif ne fait qu’augmenter. Les devenus sourds sont totalement démunis face aux télécommunications. »

« La surdité est une douloureuse étape dans la vie d’un homme. Il est donc important de faire en sorte que le quotidien ne soit pas plus compliqué à vivre qu’il ne peut déjà l’être. La communauté des sourds nourrit l’espoir que la langue des signes se généralise dans les services publics. Cela permettrait aux sourds de ne plus vivre en marge de notre société et de ne plus être perçus comme des handicapés mentaux. »

 

« Il est essentiel de souligner ici le fait que perdre l’audition, c’est également perdre ses repères, et ce, dans tous les sens du terme. Faisons ici un petit rappel sur le rôle de l’ouïe. L’oreille a deux fonctions : l’audition et le maintien de l’équilibre. Il faut savoir que la huitième paire de nerfs crâniens (vestibule cochléaire) possède une branche pour l’audition (cochléaire) et un pour l’équilibre (vestibulaire). L'équilibre est sous le contrôle de la capacité cérébrale de traiter l'information provenant des yeux, des nerfs sensoriels, des articulations ainsi donc que du labyrinthe vestibulaire, qui se trouve au fond de l'oreille interne. L’équilibre peut être perdu dans le cas où l'un des organes sensoriels, l’ouïe par exemple, connaît un dysfonctionnement, privant ainsi le cerveau d'une information essentielle. En effet, tous les sens transmettent de l’information au cerveau sous forme de signaux électriques. Le cerveau traite cette information et répond. Tout comme la règle à niveau du maçon, le vestibule permet alors de donner au cerveau l’information de l’état d’équilibre vertical du corps humain. Cette information transite via le nerf vestibulaire associé au nerf cochléaire (appelé aussi nerf auditif). Si le conduit auditif est infecté ou le tronçon nerveux se dégrade entre l’oreille interne et le tronc cérébral : les informations auditive et d’équilibre diminuent simultanément. Pourquoi la perte d’équilibre lorsqu’une oreille « meurt. »

 

« Il n’est pas facile de s’adapter à la condition de devenu sourd. Les personnes qui le vivent peuvent, à certains moments, se montrer plutôt agressives et éprouver de la frustration face à ses nouvelles difficultés. Elles craignent souvent de ne pas comprendre et sont très sensibles aux réactions d’impatience des gens lorsqu’elles leur demandent de répéter. »

 

« Lorsque nous apercevons une personne laide ou ayant un visage difforme, celle-ci nous répugne à tel point que, bien souvent, nous n’avons aucune envie de lui parler ni d’être en sa compagnie. Alors que peut-être, si nous bavardions un tant soit peu avec elle, il est fort probable que nous lui trouvions de nombreuses qualités, que sa compagnie nous serait agréable, etc. Toutefois, la société actuelle fait de l’aspect physique un critère supérieur à la personnalité de l’individu. Les handicaps visibles, tels que la paralysie ou la cécité, attirent de suite le regard. Parfois des mauvais jugements négatifs. »

 

« De nos jours, la société française se caractérise par une emprise toujours plus grandissante de la communication sonore, et ce, sous tous ses aspects. Peu encline aux besoins des personnes touchées par la surdité, la société a tendance à sous-évaluer les conséquences sociales de ce handicap et à négliger le renforcement de l’isolement et de l’exclusion qu’il entraîne. La personne devenant sourde présente, comme toute autre personne, des aptitudes que nous pouvons appeler « ordinaires ». Cependant, sa déficience, invisible aux yeux des autres, l’empêche bien souvent de faire valoir ses compétences. Tous les devenus sourds ne vivent pas ce drame de la même manière. Certains l’acceptent plus que d’autres, et arrivent à assumer leur surdité. Il est fondamental que le devenu sourd aille aux devants des choses afin de ne pas céder à l’isolement. Le soutien de la famille est essentiel. »

« Une population rejetée par la communauté « sourde »

Les personnes sourdes ont longtemps été mal considérées. L’histoire raconte que, dans l’Antiquité, à Sparte, les nourrissons sourds étaient jetés dans les gouffres de Taygète. A Athènes, ils étaient mis à morts et à Rome précipités dans le Tibre. Long fut le chemin qui permis la reconnaissance des sourds. Au cours de cette longue période d’oppression, les sourds ont appris à faire face aux préjugés et ont su transformer leur déficience en une véritable culture. Nous sommes en plein milieu du siècle des Lumières. A cette époque, les sourds ne sont pas considérés comme des êtres humains. Ils sont incompris et sont bien souvent abandonnés ou enfermés dans des asiles. Mais cet épisode ne fut que le début d’un long et douloureux combat vers la reconnaissance officielle des sourds, autant dans la légitimation de leur identité que dans celle de leur culture.»

 

« Depuis le XVème siècle. Certes, il y a eu des évolutions, mais cela n’est par autant que ce genre de

« clichés » a disparu. L’histoire a fait des personnes présentant une déficience auditive, des personnes « anormales » aux yeux des entendants. « L’une des plus anciennes revendications [des sourds] est le rattachement des écoles spécialisées au ministère de l’Education nationale (autrefois de l’Instruction publique) […] L’éducation des enfants sourd-muets a longtemps dépendu du ministère de l’Intérieur, comme s’ils présentaient un danger pour l’ordre public. Plus récemment, ils ont dépendu du ministère de la Santé, aujourd’hui des Affaires sociales »  « L’histoire, la reconnaissance des sourds ne fut pas sans embûches. Depuis le 16ème siècle, deux modes de communication pour les sourds s’opposent, la modalité orale et la modalité gestuo-visuelle. Ces deux types d’enseignements dépendent particulièrement de l’origine sociale. En effet, l’oralisme était réservé aux riches issus de classes aisées, et ce parce qu’il fallait avoir l’argent nécessaire pour payer un précepteur. Les signes, quant à eux, s’adressaient aux personnes n’ayant justement pas les moyens de s’offrir les services d’un maître, les « laissés pour compte » en quelque sorte. L’expérience sociale des sourds reste marquée par le déni historique de leur langue et de leur singularité.»

« L’histoire des sourds est l’histoire des mots. Dans Alice aux Pays des Merveilles, Alice s’offusque de ce que Humpty Dumpty s’attribue le droit de modifier le sens des mots les plus usuels. Il lui répond alors : « la question est de savoir qui a le pouvoir ». Les sourds vivent dans un monde d’entendants. Ce sont ces derniers qui décident ce que sont les sourds, « ce qu’il faut en faire » et comment il faut les nommer. L’histoire de la dénomination des sourds est ainsi l’oeuvre de ceux qui ont le pouvoir en cette société, ceux qui sont majoritaires, c'est-à-dire les entendants. »

« Les devenus sourds : une population marginalisée… Beethoven ? Ronsard ou Du Bellay ? Nous oublions bien souvent que ces grands hommes ont perdu l’audition au cours de leur existence. Les quelques devenus sourds célèbres sont généralement classés dans l’immense catégorie qu’est celle des sourds. Beaucoup de gens ignorent également que Graham Bell inventa le téléphone dont le but premier était de communiquer avec sa femme, devenue sourde. La population des devenus sourds n’est pas connue, voire reconnue du grand public. Les personnes atteintes subitement de surdité perdent tous leurs repères essentiels, mais en plus, il semblerait que leur place au sein de la société devienne instable, voire ambigüe. »

« Il est essentiel de souligner ici le fait que perdre l’audition, c’est également perdre ses repères, et ce, dans tous les sens du terme. Faisons ici un petit rappel sur le rôle de l’ouïe. L’oreille a deux fonctions : l’audition et le maintien de l’équilibre. Il faut savoir que la huitième paire de nerfs crâniens (vestibulo cochléaire) possède une branche pour l’audition (cochléaire) et une pour l’équilibre (vestibulaire).L'équilibre est sous le contrôle de la capacité cérébrale de traiter l'information provenant des yeux, des nerfs sensoriels, des articulations ainsi donc que du labyrinthe vestibulaire, qui se trouve au fond de l'oreille interne. L’équilibre peut être perdu dans le cas où l'un des organes sensoriels, l’ouïe par exemple, connaît un dysfonctionnement, privant ainsi le cerveau d'une information essentielle. En effet, tous les sens transmettent de l’information au cerveau sous forme de signaux électriques. Le cerveau traite cette information et répond. Tout comme la règle à niveau du maçon, le vestibule permet alors de donner au cerveau l’information de l’état d’équilibre vertical du corps humain. Cette information transite via le nerf vestibulaire associé au nerf cochléaire (appelé aussi nerf auditif). Si le conduit auditif est infecté ou le tronçon nerveux se dégrade entre l’oreille interne et le tronc cérébral : les informations auditive et d’équilibre diminuent simultanément. Pourquoi la perte d’équilibre lorsqu’une oreille « meurt » ? Pour donner une précision d’équilibre au corps, le cerveau a besoin des deux vestibules, tout comme nous avons besoin de nos deux yeux pour apprécier la distance ou voir des images en trois dimensions. Lorsqu’une surdité apparaît sur une oreille de manière brutale, il est difficile de rééduquer le cerveau pour trouver son équilibre. C’est un peu comme une habitude acquise de rouler à vélo sur deux roues et que soudainement la roue avant se détache : avec le temps, on finit par arriver à rouler sur la roue arrière en équilibre sans que la fourche touche le sol. Il faut donc un temps d’adaptation afin que le cerveau s’accommode et s’habitue lui aussi à cette nouvelle situation. C’est pourquoi la perte de l’ouïe s’accompagne couramment de la perte des repères spatiaux. Lors de mon entretien avec Gabriel, celui-ci m’a fait part de ses difficultés à se situer lorsqu’il ôtait ses appareils. Il trouve beaucoup de mal à marcher vite, et dans le noir, la situation empire. Lorsqu’il doit se lever la nuit, s’il n’allume pas la lumière, il y a une chance sur deux pour qu’il tombe ou qu’il éprouve quelques vertiges. L’oreille permet  de trouver l’équilibre. Les devenus sourds ont appris à se situer dans l’espace en grande partie grâce à l’ouïe et à la vue. Bien sûr, quand nous sommes entendants, cela nous paraît automatique et de moindre importance. Mais lorsque l’un de ces sens nous abandonne, il faut réapprendre à se situer, à retrouver l’équilibre notamment en apprenant à se servir davantage de l’autre sens. Généralement, les premiers jours suivant la perte de l’audition, les personnes atteintes se voient dans l’incapacité de bouger, de se lever. Gabriel m’expliqua que pendant cette période, dès qu’il voulait se relever, se mettre debout, les murs autour de lui « tournaient ». Comme pour lui cette situation était difficile à accepter et malgré ses étourdissements, il se forçait à marcher un peu mais bien souvent ses efforts se terminaient par une chute. Les premiers jours sont très difficiles à vivre. Il faut réapprendre à vivre, d’une autre manière. Il faut réorganiser son quotidien. Perdre l’audition n’entraîne pas uniquement une perte de repères spatiaux. Comme nous l’avons exposé précédemment, les devenus sourds connaissent une perte d’équilibre au sens propre, mais également une perte d’équilibre intérieur. Nous entendons par là le fait que les devenus sourds ne pourront plus jamais retrouver la sérénité intérieure qu’ils avaient avant, quand ils entendaient. Ils se trouvent face à une multitude de « petits stress » qui s’accumulent chaque jour. S’adapter à la société entendante lorsque l’on devient sourd n’est pas évident. »

CONCLUSION

Les devenus sourds vivent un véritable brouillage identitaire. Par le terme devenu sourd, nous comprenons que ces individus ont, durant une longue période, entendu comme toute autre personne. Du jour au lendemain, plus rien. Ils se voient privé de la principale faculté qui les reliait au monde des entendants : l’audition. Eux qui ont été élevés au sein de la société dominante entendante, ont appris à parler, à entendre, ont assimilé les valeurs véhiculées par cette dernière, ces façons d’être, de se comporter. Les devenus sourds ont longtemps appartenu au monde entendant. Pourquoi parler ici au passé ? Même s’ils partagent les normes, les valeurs, le langage, etc., les devenus sourds, par leur perte de l’audition, ne sont plus considérés comme faisant partie du monde entendant. A leurs yeux, les devenus sourds sont désormais sourds. Alors, ils devront désormais appartenir au milieu sourd. Seulement, réside ici un problème : les Sourds ne reconnaissent pas les devenus sourds comme faisant partie des leurs. Ils n’appartiennent pas à la culture sourde. Ils sont donc à la frange de tous cercles : les sourds les considèrent comme entendants, les entendants les rangent dans la catégorie des sourds ! Les devenus sourds sont donc en position de liminalité, ni sourd, ni entendant, ni totalement inclus, ni totalement exclus : ils vivent entre deux mondes.

De plus, leur soudaine surdité les bascule dans un monde dont ils n’ont aucune notion. Ils doivent désormais vivre au travers de leurs yeux, le regard devenant leur principale source d’informations. Le fait de ne plus entendre, d’être brutalement privé du sens de l’ouïe fait perdre ses principaux repères à la personne atteinte. Les conversations, les repas à plusieurs lui deviennent de moins en moins accessibles, elle se voit bien souvent dans l’obligation d’abandonner certaines de ses activités, etc. Son quotidien est chambardé. Le deuil de l’audition est une étape longue et douloureuse. Et par l’invisibilité de la surdité, les interactions à autrui deviennent de plus en plus difficiles et compliquées et ce, du fait que le devenu sourd s’adresse à autrui comme tout entendant le ferait. Or, il n’est plus entendant.

Par conséquent, jusqu’à la survenue de leur surdité, les personnes atteintes ont reçu une éducation « traditionnelle », elles ont tissé normalement leur réseau de relations affectives et sociales. En bref, elles ont vécu comme tout autre entendant. Avec l’arrivée brutale de leur déficience auditive, les problèmes de communication apparaissent, l’atmosphère familiale s’aigrit, les amis s’éloignent, les contacts se raréfient et la vie culturelle et sociale s’appauvrit.

Mais le devenu sourd continue généralement de nier sa surdité. Cette négation, ce déni de la surdité ne fait que détériorer les liens familiaux, amicaux : les liens sociaux se délitent. Le devenu sourd apprend à jouer un rôle, mais malheureusement, l’homme solitaire qu’il devient, refermé sur lui-même n’est pas un jeu d’acteur. La surdité subite devient alors facteur d’isolement et de marginalisation.

Quoiqu’il en soit, la population d’aujourd’hui est beaucoup plus encline à devenir sourde que les générations précédentes Tout est démesuré dans nos sociétés : le son est toujours plus haut, quelque soit les lieux. Les boîtes de nuit, les bars, le cinéma et même les magasins diffusent de la musique extrêmement forte. Les nouvelles technologies aussi ne favorisent pas vraiment la prévention de la surdité : même si les i-pod ou les MP3 sont réglés pour limiter les décibels, le niveau reste pourtant toujours très élevé. Les jeunes d’aujourd’hui ne se sentent pas encore concernés ; pour eux, nous sommes soit sourds de naissance soit de vieillesse. Ils ne sont pas conscients que les devenus sourds de demain, ce sont eux.

C’est pourquoi il y a encore bon nombre de recherches à mener à propos de ce sujet. Le travail que nous venons en partie d’achever serait particulièrement enrichissant à développer davantage, notamment en approfondissant certains points mais aussi en ouvrir d’autres, comme s’intéresser à la situation des devenus sourds au travail. Comment se passe les relations avec leurs collègues ? Les mettent-ils au courant ? Se voient-ils imposer une reconversion professionnelle ? Autant de questions qui seraient pertinentes à l’approfondissement de l’étude concernant les devenus sourds. Il serait également judicieux de continuer nos recherches sur le rôle primordial du regard, notamment dans le jeu des

interactions. L’invisibilité de la surdité renforce l’utilisation permanente du sens de la vue : elle est devenue la première source d’informations pour le devenu sourd. Le regard va alors avoir un rôle crucial dans le quotidien du devenu sourd, et notamment dans ses relations à autrui.

« Dans ses commentaires sur ces résultats, cet auteur remarque que les valeurs élevées dans l'échelle de schizophrénie ne traduisent pas un trouble psychotique, mais plutôt l'isolement réel du sourd. Et il conclut que les sourds "cherchent une surcompensation dans le grégarisme. Ils sont agressivement  des extravertis sociaux. Il nous semble que la notion d' "hypomanie" décrit bien ce mode de fonctionnement. Il nous semble aussi que c'est à partir de ce trouble du contact  et non pas, par exemple, à partir d'une faiblesse du dévelopement du sur-moi, évoquée par certains auteurs  qu'il devient possible de comprendre d'autres traits généraux parfois attribués aux sourds: absence de contrôle émotionnel, comportement impulsif, peu de tolérance à la frustration. La prévalence de m- permet aussi, à notre avis, de mieux comprendre un autre trait souvent mentionné comme caractéristique de ces sujets: leur immaturité sociale. Celle-ci est parfois définie en termes éthiques (ne pas tenir compte des conséquences de ses actions, ne pas s'intéresser aux autres). On pourrait dire qu'ils sont si profondément frustrés qu'ils ont renoncé à l'espoir de pouvoir rétablir le contact. Ils tendent plutôt à assumer une position où, comme dit J.Schotte, la question même de la frustration est évacuée. »

Lors des entretiens, les personnes interrogées ont souligné le fait que rencontrer des individus présentant le même stigmate les a aidés à mieux accepter leur surdité. Il existe, en France, diverses associations de devenus sourds. J’ai assisté à quelques réunions de l’Association pour la Réadaptation et la Défense des Devenus Sourds (ARDDS 38) de l’agglomération grenobloise. Ils se réunissent tous les troisièmes lundis de chaque mois. Ils discutent de leur quotidien, de leurs problèmes, des nouveaux matériels à destination des malentendants, etc. L’association organise également des stages de lecture labiale, des sorties en groupe, etc. Faire le premier pas pour aller à la rencontre d’autres devenus sourds n’est pas facile. Ils sont confrontés à l’image qu’ils donnent d’eux-mêmes. En effet, à l’ARDDS 38, il y a environ une cinquantaine d’adhérents mais seulement une quinzaine sont présents aux réunions, et régulièrement toujours les mêmes ! Bien souvent, les devenus sourds ont tendance à se recroqueviller sur eux-mêmes et à ne pas aller aux devants des choses. Il est vrai que le premier pas est difficile à faire mais dès que le cap est franchi, cela peut aider dans le long processus de l’acceptation de la déficience. Ainsi, voir que nous ne sommes pas tout seul dans cette situation est important. Si nous ne pouvons être compris dans son entourage, rencontrer des personnes connaissant le même problème permet de s’exprimer librement et d’être compris. Devant ses « pairs », le devenu sourd n’a ni à rougir, ni à se contrôler car il sait qu’en dépit de sa déficience, il est perçu comme quelqu’un d’ordinaire. En rencontrant d’autres personnes devenues sourdes, cela les aide d’autant plus à assumer ce qu’ils sont. Ils deviennent ainsi plus forts et partagent ce sentiment d’être identiques à tout homme normal. Ce sentiment, notamment chez une personne devenue sourde tardivement, est capital pour son avenir, pour l’harmonie familiale et dans ses rapports avec autrui. » Est-ce que ça existe au Canada et au Québec ?

La population des devenus sourds n’a pas encore été l’objet de véritables travaux concrets, et notamment au niveau sociologique. C’est pourquoi il y a encore bon nombre de recherches à mener à propos de ce sujet. La question est aujourd’hui de savoir si, pour comprendre la situation des devenus sourds, nous ne devrions pas le devenir un peu nous-même? 

 

J’avais toujours sous-estimé et négligé ma surdité au détriment de la maladie neurofibromatose type 2. Avant, je préoccupais ma maladie NF2 que j’ai mise de côté mon handicap sourd. Aujourd’hui, je réalise que mon handicap sourd me complique beaucoup plus que ma maladie NF2. C’est grâce à ces différentes épreuves et de nombreuses gens que je courtise que j’ai pu découvrir l’inconvénient de ce handicap sourd. À cause que j’ai passé de nombreuses épreuves, je constate que c’est pareil avec ma culture. Aussi je constate que beaucoup de préjugés et d’incompréhensions ne sont pas juste présents dans ma culture.  Le fait que je traîne avec moi les situations d’incompréhensions et les nombreux préjugés. Cela entraîne beaucoup de conflits où que je passe et avec n’importe quelle personne dans mon milieu. Dans de telles conditions, impossible pour moi d’avoir de bonne relation avec des gens dans mon milieu. Beaucoup de gens me déçoivent et me rendent triste. Même parfois les gens qui me connaissent très depuis très longtemps ou des amis à cause de mon niveau intellectuel. 75% des gens que je courtise ont beaucoup de difficulté à s’adapter à mon niveau d’intelligence ou de ma cadence intellectuel. Dans de telles conditions, les rapports entre les gens et moi ne sont pas harmonieux et de ce fait, ma morale ne peut pas être bonne. Où que je passe, ma morale se détériore et j’accumule encore plus de frustration qui me hante sans cesse. Ce qui entraine régulièrement des pensées négativement et perturbe mon état mental. Pour ne pas accumuler plusieurs mauvais souvenirs, je ne souhaite pas de rencontré de nouveau personnes et ni de changé de plusieurs endroits différents. Trop de conflits et beaucoup de situations problématiques.

Dans la société, il y a trop de préjugés et de mauvais jugement envers les patients sourds qui amène de l’injustice et de la discrimination. Aujourd’hui, je fais face à mes deux plus gros obstacles, la crédibilité d’un sourd et l’intelligence d’un devenu sourd. Souvent, ces gens agissent de moi comme un ignorant sourd de 7 ans avec des attitudes gestuelles enfantines. De plus, ils ont des approches très craintives et pas très rassurantes qui me déçoivent ou me choc. Quelle honte pour un adulte de 34 ans. Ces gens ont du mal à me situer dans un groupe d’âge de jeune sourd entre 4 à 14 ans. Un sourd qui parle très bien, c’est bizarre et étrange. Un phénomène rare qu’ils n’ont jamais vu auparavant.

Source

    • Les devenus sourds : Un monde à part. Alain BLANC de université Pierre Mendes France. Année universitaire 2007-2008.

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Commentaire de Nouvelles le 7 octobre 2013 à 11:35

Merci du partage de ce texte! Une longue lecture, mais oh combien enrichissante!

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