OREILLE. La lutte contre la surdité progresse. On pourrait disposer d’un traitement dans un futur proche, à en croire les nombreux travaux en cours sur la réparation des troubles de l’audition. Ainsi, un premier essai de thérapie génique a été lancé auprès d’une quarantaine de sourds profonds en octobre 2014 à Kansas City (États-Unis). Objectif : obtenir la régénération des cellules ciliées (voir infographie plus bas), présentes au sein de l’organe majeur de l’audition, la cochlée, et sans lesquelles les bruits du monde ne nous parviennent plus. Aucun résultat ni publication n’ont encore filtré mais les chercheurs ont désormais de sérieuses raisons de croire à la possibilité d’un "mieux entendre". Heureusement, car il y a urgence !
Aujourd’hui, on estime en effet à environ 360 millions le nombre de personnes malentendantes dans le monde et on considère qu’un enfant sur 1.000 sera atteint à l’âge adulte. Car, selon une enquête récente, trois jeunes sur quatre ont déjà eu des problèmes d’audition. Une préoccupation qui était au cœur de la journée nationale de l’audition jeudi 12 mars 2015.
Pour mieux entendre aujourd’hui, des alternatives existent. Comme le port de prothèses auditives en cas de surdité légère ou modérée, un domaine qui a connu des progrès considérables ces dernières années. Les modèles de dernière génération étant à la fois discrets et performants. Face à une surdité plus profonde, la pose d’implant cochléaire est proposée. Mais à ce jour, il n’existe aucun vrai traitement de la surdité dite de perception, celle qui atteint l’oreille interne, cette portion qui contient à la fois l’organe de l’équilibre et celui de l’ouïe. L’objectif principal des recherches est donc la repousse des cellules ciliées, surtout celles dites internes. Elles n’ont en effet, chez l’homme, aucune capacité de régénération spontanée contrairement à ce qui se passe chez les oiseaux ou les poissons. Et elles sont fragiles.
©Bruno Bourgeois / Sciences et Avenir / Adapté de "Voyage au Centre de l'Audition www.cochlea.org, NeurOreille
Sous l’influence de différents facteurs (vieillissement, traumatisme sonore, exposition à des substances chimiques "ototoxiques"), et sans doute sous celle de gènes encore inconnus, elles finissent par se raréfier jusqu’à disparaître. Une perte qui s’accompagne, selon les cas, d’un déficit plus ou moins grave de l’audition, toujours irrémédiable. Mais l’espoir est désormais permis avec un travail pionnier publié dans Neuron en janvier 2013 par le Pr Albert Edge (université Harvard, Boston, États-Unis), qui a réussi, en bloquant une enzyme (gamma sécrétase), à stimuler la croissance de cellules ciliées chez des souris. Une première. Depuis, toujours chez la souris, c'est même leur régénération qui a été rendue possible grâce l’introduction d’un gène (Atoh1) directement dans la cochlée trouée par un laser. Une réussite qui a donc permis à l’équipe de Heinrich Staecker, de l’université du Kansas, de lancer à l’automne 2014 le premier essai de thérapie génique.
"Je suis certain qu’un jour il sera possible d’implanter près de la cochlée une micropompe qui délivrera une ou plusieurs substances qui, selon les cas, produiront de nouvelles cellules ciliées, ou stimuleront celles qui persistent encore. Mieux ! elles éviteront qu’elles ne meurent, ce qui retardera l’apparition de la surdité", lance, enthousiaste, le Pr Jean-Luc Puel, directeur de l’Institut des neurosciences de Montpellier et chef d’équipe "Surdités, acouphènes et thérapies". Mais il faudra être patient.
Car pour l’heure, "les travaux de réparation de l’oreille interne restent très préliminaires et n’ont été menés que chez l’animal", précise Didier Dulon, chercheur de l’Inserm à l’université de Bordeaux, qui travaille directement sur la synapse auditive cochléaire, la zone d’échanges entre cellules ciliées et fibres du nerf auditif. « Or, les résultats obtenus, souvent partiels, ne persistent pas de manière durable et finissent par s’épuiser au bout de plusieurs semaines. » Toutefois, un prototype de cette pompe a été mis au point par l’équipe du Pr Puel en collaboration avec le CEA. « Actuellement, sa taille est celle d’une souris d’ordinateur, encore cinq fois trop volumineuse pour être implantée », reconnaît le chercheur. Mais selon lui, la miniaturisation ne sera pas difficile. Ce qui prendra davantage de temps, c’est la mise au point du subtil cocktail de substances qui permettront — sans toxicité ni effets secondaires — d’obtenir suffisamment de nouvelles cellules ciliées fonctionnelles.
« Ce taux de rendement ne dépasse pas aujourd’hui 12 % », précise Jean-Luc Puel. Plusieurs types de molécules sont à l’étude : des molécules dites anti-NMDA (N-méthyl-D-aspartate), pour bloquer les récepteurs NMDA du glutamate — le neuromédiateur de la synapse auditive — responsables d’un certain nombre d’acouphènes traumatiques (sifflements, bourdonnement d’oreilles). Mais aussi des facteurs trophiques, pour nourrir les tissus, d’autres pour stimuler la repousse des fibres du nerf auditif, et enfin des molécules dites anti-apoptotiques, pour retarder la mort cellulaire. Autant de travaux menés par plusieurs équipes internationales en collaboration avec des laboratoires pharmaceutiques et des start-up (Sanofi, Aventis, Otonomy, Auris, Cochlear Limited…).
Principal objectif de ces travaux : traiter en priorité la cause majeure de surdité acquise due au vieillissement, la presbyacousie. Très fréquente — 44 % des seniors éprouvent des difficultés de compréhension —, cette pathologie complexe résulte d’une combinaison de facteurs : individuels (âge, génétique) et environnementaux (exposition au bruit, prise de médicaments toxiques). Mais plusieurs écueils sont à surmonter, à commencer par la fragilité de la zone cible, la cochlée. Elle est en effet très difficile d’accès car profondément enfouie dans l’organisme. Pour l’atteindre, les chercheurs devront ruser pour ne pas être traumatiques."Un véritable travail d’orfèvre", résume le Pr Puel. Solution envisagée : coupler l’implant cochléaire avec la mini-pompe capable de délivrer des molécules pour préserver des reliquats auditifs chez des patients présentant des surdités sévères ou profondes. Un geste néanmoins invasif ce qui réservera de facto cette chirurgie aux sourds profonds. Pas question en effet d’envisager une telle procédure en pratique courante pour des surdités légères ou modérées. Pour ces dernières, une alternative est à l’étude : une injection de molécules adaptées par une ouverture pratiquée directement à travers la membrane du tympan, dite transtympannique. Moins précise mais plus facile à mettre en oeuvre, elle pourrait être réalisée sous une simple anesthésie locale. Une autre solution est étudiée : un gel, plus durable dans le temps et capable de diffuser des molécules sur plusieurs semaines, est aussi en cours de mise au point à Montpellier.
Un espoir : celui de traiter les enfants atteints de surdités héréditaires qui pourraient à terme bénéficier d’une thérapie génique. Car là encore, les connaissances progressent, grâce aux travaux du Pr Christine Petit de l’institut Pasteur (Paris), l’une des meilleures spécialistes au monde et dont les travaux ont été récompensés en 2012 par le prix international de recherche sur le cerveau, The Brain Prize. Exemple avec une découverte de son équipe en 1997 d’un type de surdité dite neurosensorielle liée au gène de la connexine 26, responsable de près 50 % des surdités congénitales. Mais il en existe beaucoup d’autres, sans doute plus d’une centaine.
Car si la recherche peine tant à vaincre la surdité, c’est aussi en raison de l’immense variété des causes. "À l’instar de ce qui se passe dans le cancer, il n’existe pas un seul type de surdité mais plusieurs", affirme le Pr Puel. Les situations sont en effet très différentes selon que la perte auditive survient chez l’enfant, l’adulte ou le senior, s’installe de manière brutale ou progressive, est unilatérale ou bilatérale, légère, partielle ou profonde… D’ailleurs, 33 % des surdités ont encore aujourd’hui une origine inconnue. En fait, « en pratique, on ne sait toujours pas discriminer le niveau anatomique précis de l’atteinte car plusieurs zones très proches — l’organe de Corti, le ganglion spiral, la strie vasculaire — peuvent être concernées », détaille le Pr Puel.
Mêmes interrogations à propos du mécanisme causal qui peut être d’origine vasculaire, neurologique, mixte… et que les chercheurs ont du mal à identifier. Enfin, "les différentes étapes de la neurotransmission d’un son au cerveau n’ont pas encore été totalement décryptées", signale Didier Dulon. "Or les outils de dépistage dont nous disposons ne sont pas assez fins, précise le scientifique. Il est essentiel de les améliorer. Car pour être plus efficace avec les traitements, il faudra tenir compte de la cause."De plus, "pour la presbyacousie, les gènes ne sont pas encore identifiés", ajoute le chercheur bordelais. Mais "dans le futur, thérapie pharmacologique, génique et cellulaire se combineront", prédit le Pr Puel. Pour s’attaquer enfin à ce trouble invisible et relier au monde ceux qui ne l’entendent plus.
Source: sciencesetavenir.fr
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