Surdité et vieillissement - La recherche apporte un nouvel éclairage

On a longtemps cru que la perte d’audition liée à l’exposition au bruit et celle qu’on associe au vieillissement, nommée presbyacousie, évoluaient en quelque sorte en parallèle. On attribuait ainsi aux processus physiologiques de l’avancée en âge les pertes d’audition des travailleurs qui n’étaient plus exposés au bruit. Or, une récente revue de la littérature scientifique sur le sujet vient jeter un éclairage nouveau sur la question et bousculer les idées reçues. L’étude intéressera bien sûr les professionnels de l’audition, audiologistes, oto-rhino-laryngologistes et audioprothésistes, mais aussi toutes les personnes actives en prévention. Tony Leroux, professeur titulaire, vice-doyen des sciences de la santé à la Faculté de médecine de l’Université de Montréal et chercheur au Centre de recherche interdisciplinaire en réadaptation, explique les questions auxquelles devait répondre l’étude qu’il a dirigée.

Les questions à l’étude

« Dans ce contexte, deux variables influencent le développement de la surdité : le nombre d’années d’exposition des travailleurs au bruit et le vieillissement. Le mandat de notre revue de littérature consistait à établir si et comment on peut arriver à discriminer ces deux variables l’une de l’autre. Comment développe-t-on l’un et l’autre type de surdité, et qu’est-ce qui se passe quand on arrête l’exposition au bruit, est-ce que la surdité continue de progresser ? Si oui, est-elle due seulement à l’âge ou à d’autres facteurs ? » Cette préoccupation de distinguer entre la surdité professionnelle et la presbyacousie n’est pas nouvelle. On en parle depuis plusieurs dizaines d’années. 

Les études animales 

Tony Leroux explique que l’évolution des techniques d’investigation chez les animaux permet aujourd’hui de mieux caractériser les dommages au système auditif et d’en découvrir d’autres types. « C’est plutôt nouveau, et ça refait complètement notre compréhension des dommages occasionnés par le bruit dans le système auditif. Les études animales nous montrent notamment que la surdité continue de progresser après un arrêt de l’exposition au bruit. Lorsque l’on compare, au même âge, les animaux n’ayant pas été exposés au bruit avec ceux qui l’ont été au début de leur vie, on constate que l’écart observé entre les seuils d’audition s’accroît avec l’âge, ce qui indique que l’atteinte continue de progresser au-delà du simple effet du vieillissement. »

Prenons le cas d’un travailleur qui n’est plus exposé au bruit depuis une dizaine d’années, mais dont la surdité progresse. On serait tenté de dire que cette progression découle uniquement du vieillissement, qu’elle n’a rien à voir avec le travail. « Or, ce que nous indique la recherche en ce moment, ce n’est plus tout à fait ça. En fait de recherche animale, le constat est assez clair. Par contre, chez l’humain, il est beaucoup plus difficile de déterminer quels sont les dommages parce qu’on ne peut pas aller voir à l’intérieur du système auditif pour obtenir des réponses aussi précises que celles obtenues des études animales. Quelques études chez l’humain vont déjà dans le sens des études animales, mais il n’y a pas encore suffisamment d’éléments probants pour l’affirmer hors de tout doute. Toutefois, les chercheurs conçoivent en ce moment de nouvelles façons de mesurer l’audition, qui pourraient être sensibles aux atteintes que nous avons vues chez l’animal, ce que l’audiogramme classique ne fait pas. Il finit par les détecter, mais des années et des années plus tard. L’audiogramme ne détecte pas les dommages précoces. » 

Une course aux réponses 

La recherche progresse très rapidement depuis environ cinq ans, et c’est un peu la course entre les équipes. De nouvelles méthodes de mesure prometteuses ont vu le jour ces deux dernières années, comme certaines techniques avancées de potentiels évoqués auditifs, qui permettent d’enregistrer l’activité électrique des voies nerveuses auditives de l’oreille et du cerveau, et les épreuves psychoacoustiques. L’application de ces techniques combinée à une évaluation rigoureuse de l’exposition au bruit devrait permettre de statuer bientôt de manière plus définitive sur cette question chez l’humain. Tony Leroux et son équipe participent aussi à cette course. Ainsi, Alexis Pinsonnault Skvarenina, étudiant au doctorat, est soutenu par une bourse de l’IRSST pour travailler à identifier des méthodes ou des outils de diagnostic susceptibles de mettre en évidence les effets précoces de l’exposition au bruit et de différencier l’effet de cette exposition de celui du vieillissement. 

Les implications en prévention 

Le déclin observé dans l’audition des personnes qui prennent de l’âge découlerait des interactions entre leur  génétique, l’exposition au bruit au travail et ailleurs , l’utilisation de médicaments, l’hypertension, l’alimentation, la pollution, etc . en fait, La presbyacousie ne découle pas uniquement du vieillissement.

Les constats de la recherche ont d’importantes implications, d’abord en matière de prévention. « Ce que la recherche animale montre, poursuit Tony Leroux, c’est qu’une exposition au bruit n’a pas besoin de s’étendre sur des années et des années pour avoir un effet plus tard dans le temps. Moi, ces temps-ci, mon obsession, c’est de voir toutes ces jeunes et moins jeunes personnes qui se promènent avec des téléphones et des écouteurs partout dans des environnements bruyants, et parfois, on entend très bien leur musique lorsqu’on est à un ou deux pieds d’eux. Selon les études animales, ça, juste ça, suffirait à produire des effets catastrophiques dans quelques années. Nous craignons de voir une très grande augmentation des cas de surdité chez les adultes dans la quarantaine ou la cinquantaine. Ça ne concerne donc pas seulement le bruit en milieu de travail, mais aussi le bruit sociétal. »

Les implications en matière de compensations

« Cela devient très difficile, quand on arrive dans le domaine des indemnisations pour surdité professionnelle, de déterminer ce qui est dû à quoi. Mais les travaux de recherche sont en train de démontrer qu’on ne peut pas continuer à faire ça, parce que la perte qui continue de progresser n’est pas seulement due au vieillissement. Elle pourrait être un effet décalé de l’exposition au bruit.»

Un réel changement de paradigme

De nombreux auteurs proposent aujourd’hui une nouvelle conception de la presbyacousie. Selon le plus récent modèle, le déclin observé dans l’audition des personnes qui prennent de l’âge découlerait en fait de nombreuses interactions entre leur génétique, l’exposition au bruit au travail et ailleurs, l’utilisation de médicaments, certaines maladies, l’hypertension, l’alimentation, le tabagisme, la pollution, etc. Ce qu’on appelle la presbyacousie, en fait, ne découle pas uniquement du vieillissement. « C’est intéressant parce qu’on a aussi déterré dans cette recherche des études plus anciennes (datant des années 1940 et 1950) qui étudiaient l’audition de groupes d’humains vivant en isolement.

Quand on comparait l’audition des personnes âgées de ces peuples-là par rapport à des personnes âgées de sociétés industrielles, les premières avaient une audition extraordinairement normale. À l’époque, on ne comprenait pas trop pourquoi, mais aujourd’hui, on le conçoit plus clairement. Il n’y avait pas vraiment d’exposition au bruit chez certains peuples isolés. Donc, l’effet qu’on attribuait il y a si peu de temps à l’âge est probablement plutôt le reflet d’une exposition sociale au bruit, y compris au bruit en milieu de travail. Cela changecomplètement notre perspective. La surdité due à l’âge existe, mais pas de la façon dont on la concevait. Nous nous trouvons aujourd’hui devant un réel changement de paradigme », conclut Tony Leroux.

Source : Prévention au Travail

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