Quel avenir pour l’immeuble des sourdes-muettes de la rue Saint-Denis? - Le devoir

Élus locaux, commerçants, groupes sociaux et défenseurs du patrimoine s’inquiètent pour l’imposant édifice de la rue Saint-Denis

Photo: Jean-François Nadeau Le Devoir
Coiffé d’une imposante coupole, l’édifice planté au cœur de la rue Saint-Denis abrite une chapelle ancienne et conserve d’élégantes boiseries.

Plusieurs organismes s’inquiètent de l’avenir de l’immense immeuble de pierres calcaires qui abrita pendant plus d’un siècle, rue Saint-Denis à Montréal, l’Institut des sourdes-muettes et où logea, jusqu’à sa dissolution en 2015, l’Agence de la santé et des services sociaux de Montréal. Depuis, son avenir apparaît incertain.

Coiffé d’une imposante coupole, l’édifice planté au coeur de la rue Saint-Denis abrite une chapelle ancienne et conserve d’élégantes boiseries. Le lieu suscite de vives inquiétudes depuis quelques mois.

Pour la Société de développement commercial rue Saint-Denis (SDC), l’enjeu que représente l’avenir de cet immeuble est immense.

« C’est un monument architectural et c’est magnifique, dit d’abord Caroline Tessier, la directrice générale de la SDC. Cet immeuble devrait satisfaire des enjeux sociaux et culturels, dans un objectif d’allier les vocations. Il pourrait y avoir des logements sociaux, des créateurs, des artistes… Pour la rue Saint-Denis, ce serait formidable. La hausse de l’achalandage quotidien nous aiderait énormément à créer un commerce de proximité. »

Le Comité logement du Plateau Mont-Royal, la mairie d’arrondissement, la Société d’histoire du Plateau-Mont-Royal, la députée Manon Massé, la firme d’architectes Rayside Labossière, l’Atelier habitation Montréal et quelques autres groupes ont tous décrié le silence qui entoure le statut en suspens de cet édifice. Ils souhaitent qu’une réflexion publique sérieuse soit conduite au grand jour afin que cet immeuble majestueux puisse continuer d’être voué à des fonctions sociales en accord avec son passé.

L’architecte Ron Rayside insiste pour dire qu’une réflexion urgente s’impose afin de définir « une vision à long terme pour ce grand ensemble » de plus de 27 000 mètres carrés. « Il est temps d’agir avant qu’il ne soit trop tard », juge-t-il.

À la Société québécoise des infrastructures (SQI), le porte-parole Martin Roy affirme qu’aucune décision n’est encore arrêtée pour cet immeuble auquel « on réfléchit ».

L’immeuble a pourtant fait l’objet d’une recherche de courtier d’immeuble afin d’être vendu. La démarche a finalement été arrêtée. « On regarde les scénarios pour voir s’il n’y a pas d’autres utilisations pour les ministères, mais notre mandat est de loger des bureaux et des organismes du gouvernement. C’est tout. »

Que compte faire la SQI pour favoriser la réappropriation éventuelle par les citoyens de ce colosse ?

« On y pense », se contente de répondre le porte-parole.

Valeur patrimoniale ?

Dans un texte publié dans le Bulletin de la Société d’histoire du Plateau-Mont-Royal, le directeur des politiques d’Héritage Montréal, Dinu Bumbaru, considère que cet immeuble planté au coeur d’une des rues les plus importantes de Montréal a une « valeur patrimoniale exceptionnelle ».

Malgré un fort intérêt du milieu pour ce bâtiment et l’avis favorable de plusieurs experts quant à sa valeur culturelle et historique, le gouvernement québécois, propriétaire de l’immeuble, ne souhaite pas le protéger en vertu d’une législation patrimoniale.

À la suite d’une demande officielle de classement du bâtiment faite par la Société d’histoire du Plateau-Mont-Royal (SHP) et soutenue par le maire du Plateau-Mont-Royal, Luc Ferrandez, le ministère de la Culture et des Communications a répondu qu’il « ne considère pas que cet ensemble conventuel conçu par l’architecte Joseph Michaud se démarque sur le plan architectural » par rapport à d’autres lieux.

La SHP est revenue à la charge, en soulignant la place exceptionnelle qu’a eue ce bâtiment dans l’existence de milliers de jeunes filles d’Amérique du Nord. Une nouvelle lettre du ministère, datée du 9 mars 2017, affirme ne rien pouvoir faire puisque l’intérêt du bâtiment « se situe à l’échelle locale et régionale et non à l’échelle nationale ».

Au Devoir, le ministère de la Culture et des Communications explique que « d’autres ensembles conventuels érigés à la même époque et situés à Montréal et ailleurs au Québec se démarquent davantage à l’échelle du Québec ». Pour justifier sa décision, le Ministère ajoute que d’autres ensembles « plus anciens et de plus grande qualité […] ne sont pas protégés en vertu de la Loi sur le patrimoine culturel ».

Pourtant, selon l’« énoncé de l’intérêt patrimonial » de la Ville de Montréal consulté par Le Devoir, cet édifice forme « un tout homogène d’une grande qualité de composition ». De plus, « les espaces intérieurs des trois pavillons les plus anciens de l’Institution présentent un état d’authenticité remarquable ». Le site présente en plus aux yeux de la Ville « une grande valeur historique ».

Pour la directrice générale d’Action patrimoine, Emilie Vézina-Doré, « l’occasion est belle pour l’État de démontrer son exemplarité dans la préservation du bien commun. Et c’est une belle occasion aussi de se questionner sur la volonté de préservation du bien public en rendant justice au bâtiment et au legs social qu’il incarne ».

Selon Vicky Langevin, coordonnatrice du Comité logement du Plateau Mont-Royal, « la vocation de l’immeuble à des fins sociales doit être préservée ».

Lieu d’intérêt

Le lieu suscite beaucoup d’intérêt. Une assemblée de citoyens tenue le 12 octobre a rassemblé une cinquantaine de personnes représentant divers groupes, dont les sourds-muets, représentants de la longue tradition de services sociaux offerts en ces lieux.

L’Institut des sourdes-muettes fut en exploitation de 1864 à 1978. Il y aura là aussi des locataires, dont un des plus illustres fut le poète national Louis Fréchette. L’édifice sera vendu en 1979 à la Corporation d’hébergement du Québec. On y trouve aujourd’hui encore quelques services sociaux, dont une garderie, l’Institut Raymond-Dewar pour les sourds-muets et des services liés à l’accueil des immigrants.

Par  Jean-Francois Nadeau

Source : Le Devoir

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