Alors que la loi est censée garantir aux enfants ayant un handicap auditif la même scolarisation qu'aux autres, les lacunes sont nombreuses.
A chaque rentrée, c’est pareil : l’Association nationale des parents d’enfants sourds (Anpes) reçoit une flopée de témoignages de familles désemparées «Ils sont tellement nombreux, c’est très lourd…», souffle sa présidente, Catherine Vella. Manque cruel d’écoles proposant des cours en langue des signes, enseignants refusant de porter un micro en classe, élève sachant tout juste écrire son prénom alors qu’il est en CM1… Les exemples de problèmes dans la scolarisation des enfants sourds ne manquent pas.
La fameuse loi de 2005 sur le handicap a reconnu la langue des signes comme une langue à part entière et garantit aux parents le droit de scolariser leur enfant dans l’école de quartier et le choix du mode de communication utilisé en classe. Mais «dans les faits, l’Education nationale ne l’a jamais appliquée, tacle Catherine Vella. Très rares sont les enfants sourds qui ont une scolarité convenable. Ils ont le droit d’entrer dans une école mais ils n’ont pas accès à l’instruction. On ne met pas le message scolaire à la portée linguistique des élèves sourds. Najat Vallaud-Belkacem a fait toute une campagne sur la laïcité l’an dernier, qui n’a pas été sous-titrée ni traduite en langue des signes alors que c’était une campagne nationale et c’est l’affaire de tous.» Et de dénoncer la pression mise sur certaines familles pour renoncer à la langue des signes et opter pour la pose d’un implant cochléaire, qui permet d’entendre.
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Sur les 7 570 élèves ayant un handicap auditif scolarisés dans les écoles françaises en 2014-2015 (hors établissements spécialisés), moins d’un quart bénéficiait d’un accompagnement humain et autour d’un tiers disposait de matériel adapté (micro sans fil porté par l’enseignant pour les élèves porteurs d’un implant cochléaire, par exemple).
Harcèlement
Avec ou sans ces aides, «l’inclusion est vraiment dépendante de la bonne volonté des professeurs», constate Elyse, la maman de Jeanne, une adolescente sourde porteuse d’un implant cochléaire et scolarisée dans l’Essonne. Ainsi de ce prof de sport qui a toujours refusé de faire le moindre effort pour réduire le bruit en cours ou de parler bien face à Jeanne afin qu’elle puisse lire sur ses lèvres pour comprendre ce que son implant ne lui permettait pas de saisir. Sans parler des cours de natation durant lesquels il a toujours refusé d’utiliser une ardoise sur laquelle écrire les consignes…
Les parents de Jeanne rencontrent les enseignants un à un afin de leur parler de la surdité de leur fille et de leur donner des conseils. Malgré leurs efforts, l’adolescente est victime de harcèlement dans son établissement, et sa surdité n’y est pas étrangère. «L’an dernier, des gens venaient crier dans mes oreilles ou demander "ah ouais t’es sourde ?", se souvient la jeune fille. Parfois j’ai du mal à entendre et sous la pression je peux m’énerver ; j’ai aussi un peu tort. Si je pouvais, j’aimerais bien ne pas aller au collège. Je suis sûre qu’il y a des gens sympas, mais ils ne viennent pas me parler. Les gens ont déjà des idées sur moi alors qu’ils ne me connaissent pas.» Le président de l’association Génération Cochlée, Fatah Bendali, reconnaît que le harcèlement des enfants sourds à l’école «n’est pas rare».
«La surdité fait qu’elle est une proie, estime la mère de Jeanne. Elle ne perçoit pas le second degré, l’ironie, il faut que la personne ait vraiment un comportement clair. Elle est souvent en décalage, il y a des quiproquos.» Et Nicolas, le papa, de poursuivre : «Il y a l’idée chez ses camarades que les profs feraient du favoritisme et qu’elle en profiterait.» Le genre de situation intolérable à l’adolescence.
Aucun chiffre officiel ne recense le taux d’illettrisme parmi les sourds – celui de 80%, cité dans un rapport datant de 1998, est souvent avancé, mais sa fiabilité est mise en doute – mais tout le monde s’accorde sur le fait qu’il est anormalement élevé. Plus largement, «l’échec scolaire est massif, dénonce Catherine Vella, de l’Anpes. Il y a un très gros déficit d’élèves ayant le bac ou fait des études post-bac. Les enfants sont orientés sans tenir compte de leur potentialité et de leurs envies : on les oblige toujours à choisir entre infographiste, ébéniste, comptable et jardinier. Beaucoup arrêtent parce qu’ils n’en peuvent plus, pas parce qu’ils n’ont pas les capacités scolaires. Et plus tard, ils vont vivre de leur allocation aux adultes handicapés.»
Face à l’inégalité de traitement des élèves sourds, l’Association nationale des parents d’enfants sourds est en train de préparer une plainte contre la France devant la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH).
Par Elsa Maudet, 13 septembre 2016
Source : http://www.liberation.fr/france/2016/09/13/les-enfants-sourds-n-ont...
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