Les enfants de parents sourds peinent à trouver leur identité

Photo: Films Séville

Une scène tirée du film «La famille Bélier»

La crise identitaire vécue par plusieurs enfants de parents sourds a inspiré le fameux film à succès «La famille Bélier». Cette réalité n’existe cependant pas qu’au grand écran, comme en témoignent des enfants élevés entre la langue des signes (LSQ) et le français.


Au téléphone, le ton de l’éducatrice de la garderie est lapidaire.« Ce bambin, il est tout le temps en train de frapper les autres. Ses parents ne savent pas l’élever ! »

 

« C’est un trait culturel. Dans sa famille, on attire l’attention en touchant l’épaule de l’autre. L’enfant souhaite simplement communiquer avec les petits amis. Expliquez-lui la marche à suivre, il va comprendre comment ça marche avec les entendants », lui répond Mélanie Dumaine. Des appels du genre, elle en reçoit régulièrement.

 

Mélanie Dumaine est coordonnatrice du programme Sourds de l’Institut Raymond-Dewar à Montréal, l’un des deux seuls centres de réadaptation pour enfants entendants de parents sourds au Québec. Une partie de son travail consiste à débrouiller les malentendus qui surviennent parfois lorsque le jeune enfant de parents sourds fait son entrée à la garderie ou à la maternelle. « Le petit peut ne pas être habitué à répondre à une consigne donnée verbalement, même s’il la comprend. Il faut savoir qu’il grandit dans une maison où le contact visuel est primordial. Ça peut dégénérer rapidement. Il arrive que le professeur nous appelle en disant que l’enfant a un trouble de l’attention, explique-t-elle. Dans la majorité des cas, notre intervention règle le problème. »

 

Les quelques milliers de personnes de la communauté sourde du Québec s’expriment surtout en langue des signes québécoise (LSQ). C’est une langue à part entière, avec sa propre poésie, son théâtre et son humour. La plupart du temps, c’est la langue maternelle de leurs enfants, dont la majorité entendent. « En grandissant, certains d’entre nous se sentent plus près de la culture sourde, d’autres se situeront davantage du côté des entendants. C’est un continuum, on peut changer de place à différents moments de notre vie. De plus, je crois vraiment à l’existence d’une identité qui est propre à nous, les enfants entendants de parents sourds », explique Isabelle Guay, fondatrice du tout jeune organisme CODA Québec. Elle est également psychologue à l’Institut de réadaptation en déficience physique de Québec, centre spécialisé pour la communauté sourde, aujourd’hui fusionné au CIUSSS de la Capitale-Nationale.

 

CODA est l’acronyme anglais de Children of Deaf Adults, enfants dont l’identité multiculturelle est connue aux États-Unis, où il existe une panoplie de services pour eux. Ici, le mouvement reste embryonnaire, constate Marguerite Blais, ex-ministre sous le gouvernement Charest et coauteure d’un des rares documents de recherche sur les CODA du Québec. « Les CODA viennent de la communauté sourde. Ils sont victimes de l’ignorance qu’on a au Québec de la LSQ et de la réalité des sourds. S’ils étaient mieux reconnus, on comprendrait mieux les problématiques vécues par ces enfants », affirme le CODA Frédérick Trudeau, aujourd’hui interprète LSQ/français et enseignant au cégep du Vieux-Montréal. Au Canada, seul l’Ontario a inclus la LSQ et l’American Sign Language dans sa loi.

 

Interprètes de leurs parents sourds

 

« À la banque, au restaurant, au téléphone… Dès qu’on a commencé à bien s’exprimer en français ma soeur et moi, on a été les intermédiaires pour nos parents », se souvient la CODA Lise Richard, aujourd’hui interprète LSQ/français. Le CODA devient bilingue dans les premières années de sa vie. Il est tout désigné pour faire le lien entre les deux mondes, un fardeau lourd à porter. « Le rôle d’aidant naturel est dévolu à un des enfants de la fratrie, souvent la première fille du couple », explique Isabelle Guay. « Les parents doivent se montrer avisés. Ce n’est pas parce que l’enfant a la capacité d’entendre qu’il entend tout, et qu’il peut tout comprendre. »

 

Au cours des 25 dernières années, les services d’interprétation LSQ-français se sont grandement développés au Québec. Les services publics doivent être accessibles aux personnes handicapées, mais la directive n’est pas appliquée partout. « Lorsque le CODA a des difficultés scolaires, il arrive que l’école refuse de mettre en place une communication efficace avec les parents. Elle demande même à l’enfant de jouer à l’interprète, affirme Mélanie Dumaine. J’apprends même à des directeurs d’école la façon de se faire rembourser les frais d’interprétation par leur propre commission scolaire. » Et pour aller à la banque ou négocier un service de téléphonie, le sourd doit payer l’interprète de sa poche dans certaines régions, se désole Lise Richard.

 

Pour beaucoup de familles, l’adolescence est un moment délicat. Le CODA a plus de responsabilités, dans un contexte où il souhaite se détacher de sa famille pour construire sa propre identité. « C’est une étape normale de développement, mais elle peut être mal vécue par le parent, qui se croit rejeté », explique Isabelle Guay. « De plus, pour les adolescents et jeunes adultes dont le rôle d’aidant est trop lourd à porter, il arrive qu’il y ait rupture douloureuse de la relation. »Heureusement, il existe surtout de belles histoires. À tel point qu’il est commun de rencontrer des CODA qui, devenus adultes, travaillent comme professionnels dans la communauté sourde. Lise Richard, qui se décrit comme une ancienne adolescente rebelle, explique : « Mon vécu m’a amenée vers mon métier, que je trouve très enrichissant. J’ai décroché plus jeune, mais je suis retournée à l’école et je suis devenue interprète. »

  

          Source: www.ledevoir.com

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