Un amendement à la loi numérique prévoit la création d’un centre relais téléphonique qui traduirait toute conversation en langue des signes ou par écrit. Les opérateurs télécoms refusent de payer au nom de toutes les autres entreprises.
La Fédération française des télécoms (FFT), qui regroupe essentiellement Orange, Numericable-SFR et Bouygues (Free fait bande à part), a ravalé sa rancœur contre les GAFA (Google Amazon Facebook Apple) qui pratiquent l’optimisation fiscale, son principal cheval de bataille, et invité Google pour une cause commune ce mardi matin.
Une belle cause : l’accessibilité de tous aux moyens de communication, en particulier les sourds, malentendants, aveugles et autres « handicapés de la communication » selon le terme employé dans le milieu.
La FFT avait invité des experts du sujet de tous horizons (chercheurs, associations, entrepreneurs, etc), dont un ingénieur de Google, lui-même aveugle, Kiran Kaja, venu faire la pub des solutions maison comme le nouveau Google Voice.
Et en clou de cette matinée de tables rondes instructives : le lancement d’un appel à projets commun Google-FFT doté de 40 000 euros pour des solutions innovantes d’accessibilité.
En toile de fond de ce partenariat inattendu, se trame en fait une nouvelle obligation pour les opérateurs télécoms, demandée avec insistance depuis dix ans par les associations. Et derrière, une affaire d’argent, bien sûr.
Il s’agit d’un certain « article 43 » mentionné plusieurs fois dans les débats, un article de la loi pour une société numérique, actuellement en discussion au Parlement. Dans une démarche d’inclusion numérique, pour les 500 000 personnes qui ne peuvent téléphoner du fait de leur handicap et tous les autres qui souhaiteraient les appeler, cet article prévoit la création d’un « centre de relais téléphonique » comme il en existe dans d’autres pays :
« Le centre relais téléphonique assure, en mode simultané et à la demande de l’utilisateur, l’interprétariat français - langue des signes française, la transcription écrite, le codage en langage parlé complété, ou la communication multimodale adaptée aux personnes aphasiques, des appels passés et reçus, hors services d’urgence, par les personnes sourdes, malentendantes, aveugles, aphasiques ou handicapées de la communication. »
Le texte initial du projet de la secrétaire d’Etat Axelle Lemaire imposait une obligation d’accessibilité des services d’accueil téléphonique au service public et des « services clients des entreprises d’une certaine taille », de tous secteurs.
La version adoptée par l’Assemblée fin janvier fixait un délai maximum de cinq ans à tous « les acteurs économiques du secteur privé qui vendent, offrent ou proposent directement aux consommateurs ou aux bénéficiaires des biens et des services » pour se conformer à cette obligation.
Or un amendement déposé par la Sénatrice du Nord Valérie Létard (UDI) et adopté en commission a profondément modifié le dispositif, qui risquait d’être « inopérant et incomplet » du fait d’un « éclatement des responsabilités » : ce sera aux opérateurs de financer un centre relais généraliste et plus question de laisser traîner, ce sera dans un an. Branle-bas de combat chez les opérateurs, qui ne veulent pas casquer pour les autres. L’un d’eux s’alarme :
« ça va coûter une blinde ! »
Une étude commandée par l’Arcep, le gendarme des télécoms, en 2010, avait évalué à 84 millions d’euros le budget nécessaire pour une année de fonctionnement accessible à 91 000 utilisateurs. Les associations ne disent pas que c’est aux opérateurs de payer, mais aux consommateurs, faisant valoir que c’est le mode de financement choisi par d’autres pays :
« Cette “ accès-participation ” ne serait donc pas prélevée sur les revenus des opérateurs, mais perçue par les opérateurs pour le compte de l’État et apparaîtrait en tant que telle sur les factures, à l’instar de l’éco-participation. [...] L’accès-participation pourrait s’élever à 5,5 centimes d’euro par mois par facture, soit 0,65€ par an par abonné. »
Un montant à multiplier par deux ou quatre par foyer puisque cette estimation se fonde sur le total des abonnements fixes et mobiles recensés. Dans son rapport d’évaluation sur l’expérimentation d’un centre relais téléphonique, la députée (PS) des côtes d’Armor Corinne Erhel avaitjugé en 2014 :
« La mise en place d’une taxe même minime sur l’ensemble des forfaits téléphoniques (…) me paraît quant à elle difficilement envisageable dans le contexte actuel de pouvoir d’achat contraint et de situation économique complexe. Un temps évoquée pour soutenir le déploiement du Très Haut débit, la possibilité d’une telle taxe avait rapidement été écartée. »
Créer une nouvelle taxe à un an de l’élection présidentielle, même pour une bonne cause comme l’accessibilité ? Une mesure sans doute difficile à faire passer, malgré la baisse continue de la facture moyenne des abonnés télécoms en France depuis cinq ans.
Cependant, il existe d’autres options, énumérées par Corinne Erhel :
L’autre problème soulevé par la députée, et repris par les opérateurs : le manque de ressources humaines. Le rapport recensait seulement 367 interprètes en langue des signes française en 2012, insuffisant pour répondre à la mise en place d’une telle plateforme en ligne, amenée à fonctionner 24 heures sur 24 dans dix ans.
« On en formera » a-t-on répondu en substance au ministère. L’étude de l’Arcep, réalisée par le cabinet de conseil Advention, évaluait à 41 millions d’euros sur dix ans le coût de formation de ces professionnels de la communication accessible et à près de 1 500 le nombre d’emplois qui seraient ainsi créés (techniciens de l’écrit, interprètes, codeurs LPC).
Les opérateurs pestent aussi contre :
« La création d’un truc à la française, un choix technique un peu dépassé alors que des solutions technologiques, peut-être plus pertinentes, émergent. Plein de start-up, y compris françaises, en développent. »
La FFT avait d’ailleurs pris soin d’en convier certaines et des spécialistes vantant les mérites de l’intelligence artificielle, la reconnaissance vocale et gestuelle.
L’argument se tient mais la motivation des opérateurs est avant tout d’éviter une nouvelle ponction, après la hausse de la « taxe télécoms »cette année. La start-up invitée, RogerVoice, a levé 35 000 dollars sur Kickstarter pour son appli de transcription automatique instantanée, qui est payante (à partir de 1,99 euro par mois). Son fondateur Olivier Jeannel a lancé lors d’une des tables rondes :
« Sauf si les opérateurs sont prêts à nous offrir la terminaison d’appel, qui n’est pas gratuite... »
Décidément, les opérateurs auront du mal à ne pas être mis à contribution. Solidarité nationale et dispositif universel contre financement participatif et appli payante, clairement deux philosophies.
Et les associations semblent assez réticentes à l’égard de ces solutions technologiques, privilégiant l’échange naturel, comme l’a expliqué Anne Madec, membre de la Fédération nationale des sourds de France :
« Les usagers sont en colère, ça fait dix ans qu’ils attendent. Avec la croissance exponentielle de l’usage du téléphone, nous sommes de plus en plus exclus et mis à l’écart. Les SMS et les mails, ce n’est pas suffisant. »
Source: rue89.nouvelobs.com
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