Le printemps québécois, un impact sur nos revendications dans la communauté sourdienne?

 Par: Hélène Hébert

 

Depuis la fin février, les étudiants ont décidé de contester la hausse des frais de scolarité décrétée par le gouvernement du Québec sur une période de cinq ans. Le mouvement des associations étudiantes, loin de s’essouffler avec le temps, a décidé se tenir debout face aux décisions des autorités gouvernementales. Ces dernières ont mal mesuré l’impact de la résistance du mouvement de grève des étudiants, croyant que ceux-ci lâcheraient prise et qu’ils se résigneraient face à cette réalité. Comme le conflit semblait sans issue, qu’il y avait un « dialogue de sourds », entre les deux parties, que chacun se tenant tête, le gouvernement s’est vu dans l’obligation d’adopter un projet de loi spéciale, la loi 78, qui est un véritable déni de la démocratie. En gros, cette loi prévoit des sanctions ahurissantes pour les étudiants et leurs associations et impose un nouveau rapport de force qui menace les libertés publiques. La loi prévoyait également que les étudiants retournent à leurs études pour terminer leur session dès la mi-août, pour ne pas mettre leur session en péril.

 

L’enjeu de départ des manifestations était une contestation aux hausses de frais de scolarité, mais cet enjeu est devenu un débat de société. La loi 78, plutôt que de tuer dans l’œuf la problématique de fonds, a suscité une recrudescence de l’identité québécoise. Tous les Québécoises et Québécois se sentent interpellés, car leur voix semble brimée. Certains immigrés ont vécu des situations de répression auparavant, et s’opposent à un retour vers un climat répressionnaire dans un pays « soi-disant démocratique ». Nous connaissons la suite de l’histoire : les marches nocturnes et les défilés au rythme des casseroles qui sont des manifestations pour exprimer le mécontentement général. Comme les étudiants représentent une grande part dans la population active du Québec, leurs revendications ont un impact majeur sur l’économie au Québec, surtout à Montréal qui est un centre névralgique.

 

La démocratie en a pris pour son rhume; nous avons perdu notre droit de nous exprimer, de montrer notre mécontentement, de pouvoir faire des propositions. Personne ne veut « perdre la face ». Chacun tire la couverture de son bord. Ces manifestants du printemps québécois font du bruit, s’expriment haut et fort, jusqu’à se déshabiller en public! Ces événements ont fait le tour du monde et les regards sont maintenant rivés vers la fin de ce conflit… Nous n’avons aucune réponse pour l’instant.

 

Les personnes sourdes et malentendantes auront la chance de s’exprimer, de revendiquer leurs droits face à l’éducation et leur culture lors de la Journée mondiale des sourds (JMS) à la fin de septembre, à Sherbrooke. Ils ont le malheur d’être « silencieux ». Que devra faire l’ASE (Association des Sourds de l’Estrie), en collaboration avec la SCQS pour attirer l’attention du public, pour les sensibiliser? Aux yeux des « entendants », la marche des sourds est une marche silencieuse. Les pancartes parlent pour eux, mais est-ce suffisant? Certaines personnes, ne connaissant pas le problème de la surdité, voudront s’informer, mais ils se buteront à une barrière de communication puisque la plupart des manifestants s’expriment en LSQ (langue des signes québécoise). La langue sépare les sourds et entendants en deux mondes différents. Comment l’ASE pourra relever honorablement le défi et se faire remarquer? Devrons- nous faire du bruit, du vacarme avec des instruments de musique à percussion, avec des casseroles, avec des haut-parleurs, des amplificateurs, s’habiller autrement, utiliser des gants blancs?

 

Les manifestants de la JMS pourront-ils faire bouger les choses? Certains individus croient que ces rassemblements n’ont pas leur raison d’être et que tout cela reste de la mascarade. Selon eux, les décisions sont toujours prises par les hauts dignitaires qui prennent peu en considération « les voix », les manifestes » de la population au bas de la pyramide.

 

C’est ce qu’on appelle une démocratie déguisée, l’histoire du Québec en est la preuve vivante, par exemple la lutte des Patriotes en 1837-38 ou encore les Canadiens français qui ont vécu la déportation en Acadie en 1755. Ceux-ci, en majorité sur le territoire de la Nouvelle-France avant sa défaite face à l’Angleterre, s’opposaient à la suprématie anglaise. Ces types de manifestations ont toujours été réprimées, tuées dans l’œuf. L’histoire se répète continuellement comme aujourd’hui. Les sourds et malentendants seront-ils reconnus à leur juste valeur? Quel porte-parole au niveau gouvernemental pourrait porter le flambeau et nous représenter?

 

Dans l’histoire des sourds, la manifestation contre un président entendant à l’université de Gallaudet, aux États-Unis, a porté fruit. Clamant le slogan « Deaf president now », les étudiants sourds ont eu gain de cause et cette victoire avait fait le tour de la planète.

 

Quelle sera l’issue du conflit actuel? Verrons-nous la lumière au bout du tunnel, serons- nous « regardés » par les sourds dans le sens d’« écoutés » par les entendants? Les réseaux sociaux seront-ils mis à contribution pour que les sourds et malentendants soient plus visibles, plus bruyants? C’est à suivre…

 

 

 Source : Entente de publication avec Voir Dire de l'Éditorial de son Numéro 174 / Juillet Août 2012

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