Lorsqu’on regarde des personnes communiquant en langue des signes, on note la grande variété et le changement constant des expressions faciales de même que l’utilisation des mouvements du corps dans la transmission du message. On a même parfois l’impression d’observer un véritable ballet. Mais comment chorégraphier cette danse lorsqu’il est question d’humour?

Par Joëlle Fortin, interprète agréée

Étant donné la spécificité culturelle de l’humour, transmettre un message drôle peut occasionner bien des maux de têtes aux interprètes qui font le pont entre une langue de départ orale et une langue d’arrivée signée.

Voici trois difficultés importantes auxquelles les interprètes en langue des signes doivent faire face :

  • Les mots d’esprit : il s’agit de phrases tournées avec intelligence, souvent ironiques et satiriques, qui peuvent comprendre des jeux de mots ou des rimes, ce qui est parfait pour un public qui entend. Pour le public sourd, toutefois, l’équivalence lexicale n’est pas toujours possible étant donné que les jeux de mots sont de nature sonore;
  • La satire ou la caricature : il s’agit d’exagérer un travers pour faire passer une idée;
  • La moquerie douce et l’autodérision : il s’agit, dans le premier cas, de tourner quelque chose ou quelqu’un en ridicule de façon inoffensive et, dans le second cas, de rire de soi-même.

Afin de pallier ces difficultés, les interprètes en langue des signes recourent à des jeux de signes, à une plus grande iconicité1, à de plus nombreuses expressions faciales, à des gestes naturels, à la répétition d’un signe, à des adaptations référentielles ou même à des changements de référents.

Les tenants de la théorie du sens soutiennent que la traduction simultanée n'est pas un travail sur la langue, sur les mots; c'est plutôt un travail sur le message, sur le sens. Pour y arriver sans trop de mal en humour, l’interprète doit avoir un certain talent artistique (créativité, habiletés manuelles, capacité à se fondre dans un personnage) ainsi qu’un esprit vif (sens de la logique, esprit analytique et rapidité). Habituellement, les interprètes de haut niveau peuvent traduire l’humour, mais pas sans une bonne préparation.

Une véritable entreprise

spectacle-interface copie

Spectacle Interface, société en nom collectif fondée il y a six ans, se spécialise dans l’interprétation/adaptation de spectacles d’humour en langue des signes québécoise (LSQ). Le travail de ses interprètes ne consiste pas en une simple interprétation d’une langue à une autre; bien loin de là. En effet, ils jouent sur scène et vont parfois jusqu’à adapter le contenu du spectacle. La société offre deux spectacles par année et les interprètes mettent l'épaule à la roue plusieurs mois avant la représentation. Pour un spectacle d’environ une heure et demie, il faut 150 heures de préparation. Les interprètes doivent :

  • contacter l'artiste,
  • convaincre le producteur,
  • trouver et réserver une salle qui réponde aux exigences techniques du spectacle d'origine,
  • imprimer les billets, les vendre, et promouvoir l'évènement,
  • assister au spectacle original et le filmer afin de pouvoir répéter,
  • se procurer le scénario du spectacle pour travailler les expressions, se familiariser avec la mise en scène et trouver des équivalents aux blagues ou aux expressions utilisées,
  • tester les adaptations avec une personne ressource,
  • rencontrer l'artiste afin de lui expliquer le projet, de le sensibiliser à la situation, et parfois même de lui proposer de modifier sa mise en scène afin qu’il s’établisse une bonne complicité entre l'humoriste et l'interprète,
  • s'assurer d'avoir des éléments de décor et des vêtements adéquats (être habillé de la même façon et faire les mêmes mouvements que l’humoriste).

C’est énormément de travail, mais le jeu en vaut la chandelle. Des personnes sourdes viennent de partout au Québec pour assister aux spectacles. Pour une rare fois, ils peuvent profiter d’une représentation théâtrale en compagnie de parents ou d’amis qui entendent sans que qui que ce soit ne se sente brimé.

photo1

Des comédiens professionnels et leurs interprètes. 
Dans l’ordre habituel : Mathieu Gratton, Martin Asselin, Patricia Paquin, 
Joëlle Fortin, Frédérick Trudeau et Jean-Luc Thievent. 
Photo : Archives personnelles de l’auteure.

photo2

Martin Asselin et Joëlle Fortin, 
cofondateurs de la société Spectacle Interface. 
Photo : Daniel Forgues.

Joëlle Fortin est interprète français-LSQ au Service d'interprétation visuelle et tactile. Elle est aussi chargée de cours à l’Université du Québec à Montréal et cofondatrice de Spectacle Interface.

1. L’iconicité en langue des signes est le phénomène par lequel, un mot/signe a une ressemblance de forme avec l’objet désigné.

Source : Circuit Magazine

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