Cyberpresse - 18 juin 2011
Isabelle Légaré - Le Nouvelliste
Équipé d'une tondeuse électrique, Donald Pinet a une technique bien à lui pour couper sa pelouse sous l'oeil attentif de Melvil, son chien-guide. Sourd et aveugle, le Trifluvien demeure autonome malgré ses deux handicaps.
Photo: Stéphane Lessard
(Trois-Rivières) Donald Pinet tond sa pelouse sans rien laisser au hasard, construit son patio avec adresse, prépare minutieusement un pain «de viande» au tofu et accroche tous ses vêtements sur la corde à linge. Par grandeur. Le jour où il est devenu sourd et aveugle, l'homme de 57 ans a décidé qu'il ne se laisserait pas emmurer dans son corps. Il s'est plutôt transformé en Monsieur Bricole, jardinier, cuisinier, aide ménager... Finalement, il n'y a que Melvil, son chien-guide, qui n'en perd pas son latin.
Le Trifluvien de la rue Massicotte, dans le secteur Cap-de-la-Madeleine, est pleinement conscient de semer la confusion autour de lui. Il ne voit rien, mais rien n'y paraît ou presque. Sans le vouloir, M. Pinet met de la pression sur son entourage qui, tout en se grattant la tête, est bien obligé de se remuer un peu. Avouons que ça dérange un voisin qui s'active à rendre son gazon plus vert, d'autant plus que ce voisin n'est même pas en mesure d'en apprécier la couleur.
Atteint du syndrome de Usher, une maladie qui a pris la forme d'une surdité et d'une cécité progressives, Donald Pinet soutient que son pire handicap, ce sont ceux et celles qui le croient incapable de faire ceci ou cela. S'ils savaient.
Porteur d'un implant cochléaire à l'oreille droite et d'un appareil auditif à l'oreille gauche, l'ancien psychoéducateur arrive à maîtriser l'art de la communication. Devant cet homme aussi loquace qu'à l'écoute des autres, on en oublie qu'il est sourd. Difficile aussi de s'imaginer qu'enfant, le petit Donald était pointé du doigt en raison, pensait-on, de ses limites intellectuelles. «J'articulais mal. Au plan phonétique, ça me posait des problèmes», raconte M. Pinet qui se souvient du combat qu'il a dû livrer dès son jeune âge contre les préjugés.
L'adolescent qu'il est devenu a quant à lui développé le réflexe de rebondir devant les obstacles qui se sont dressés sur sa route. D'ailleurs, M. Pinet se souvient du sentiment de douce revanche qu'il a ressenti le jour où on lui a remis son diplôme universitaire. Il aime l'idée que ses détracteurs de l'époque ont dû ravaler leurs paroles. Celui qu'ils croyaient déficient a occupé par la suite des emplois auprès de personnes démunies et en détresse psychologique.
Atteint de rétinite pigmentaire qui entraîne la perte de la vision, Donald Pinet était au début de la trentaine et père de deux enfants lorsque sa maladie l'a finalement plongé dans le noir. La liste des deuils accumulés depuis vingt-cinq ans est longue, mais ici aussi, le Trifluvien a décidé de les transformer en défis. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle il tenait à raconter son histoire. S'il a été capable de se sortir d'affaire, tout le monde le peut.
«Les personnes que je côtoie me demandent souvent ce que peut faire un sourd-aveugle», dit-il en prenant place sur le patio qu'il a lui-même fabriqué, une terrasse aussi droite qu'un plancher de danse. Locataire au sous-sol d'une maison unifamiliale, M. Pinet sait se rendre indispensable auprès de la propriétaire qui peut compter sur lui pour effectuer toutes sortes de travaux.
Pour lui, un problème équivaut à une solution. Au moment d'entreprendre la construction du patio, il s'est muni d'une équerre et d'un système de bille, question d'entendre par le roulement si ses planches étaient ou non au niveau. «Je suis capable de visualiser un projet dans ma tête», explique celui qui se figure chaque étape, y compris la pose des vis qu'il répartit avec une précision quasi mathématique. Et dire que ce non-voyant arrive aussi à se servir d'une scie à onglet!
M. Pinet voit avec ses mains et... ses pieds. Il s'en sert pour passer la tondeuse ou l'aspirateur. «Les pieds me servent de guide. Dès que je dois me tasser vers la droite, je pose un pied sur la ligne imaginaire et je dépose l'autre pied à la même largeur que mes épaules, de sorte que ni la tondeuse ou l'aspirateur va plus loin que mes épaules», explique-t-il.
C'est aussi lui qui a fabriqué dans le jardin une allée en pas japonais. Une fois de plus, les pierres sont disposées parfaitement afin de le guider vers la remise qu'il a évidemment assemblée.
«Le principe est de savoir comment faire un carré parfait pour que chaque dalle prenne sa place. En les mettant directement sur le gazon, l'herbe finit par étouffer. Le carré devient plus évident pour les voyants. Pour les aveugles par contre, l'herbe est sec. Avec un couteau, j'enlève chaque dalle que je replace une fois que j'ai coupé le gazon et enlevé la terre», poursuit M. Pinet, visiblement fier du résultat qu'il ne voit pas.
De toute façon, l'esthétisme est pour lui très secondaire. «Le plus important, c'est de construire quelque chose d'utile, de solide et au niveau», répète M. Pinet. Pour le pain au tofu, il conseille finalement de vérifier la cuisson avec un cure-dent. Lorsqu'aucun grain ne colle, c'est qu'il est prêt!
SOURCE: Cyberpresse.ca
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